Origines du village et Chateau de Camblain-Chatelain dans le Pas de Calais

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L’avenir d’Auchel
Samedi 13 Janvier 1968

 

Camblain-Châtelain

 

 

 

            L'actualité régionale a eu ses feux braqués, cette semaine, sur la destruction définitive des derniers vestiges du château de Camblain.

 

            Nous sommes heureux de reproduire ci-dessous une notice historique sur ce village qu'avait rédigée M. Jean Ratel de la Société Folklorique d'Artois, Correspondant des Monuments Historiques du Pas-de-Calais, à la demande de Radio-Lille, pour l'émission : « Bonjour M. le Maire », il y a quelques années.

 

            Ce récit est surtout folklorique. Il est tiré, pour la plupart de ses renseignements, dans le dictionnaire historique et archéologique du Pas-de-Calais, l'épigraphie du Pas-de-Calais et les recherches de notre Historien régional.

 

            Voici les noms que portait cette commune aux 12e, 13e et 14e siècles, d'après le dictionnaire des noms de lieux de Messieurs Ricouart et de Cardevaque :

·      1135: Camblin (Bulle d'Innocent II) ;

·      1138: Camblin ;

·      1256 : Cambling (Charte de Jacques, Évêque d'Arras) ;

·      1415: Camblain le Chastelain ;

·      1545: Camblain-Chastelain ;

·      Vers 1300 : la Seigneurie de Camblain passa dans la Maison des Recourt par le mariage d'isabelle, châtelaine de Lens, avec Philippe seigneur de Recourt et de La Comté, gouverneur d'Artois.

 

            Nous citerons leurs descendants :

·      Jehan 1er du nom qui prit part à l'expédition envoyée au secours de Calais en 1348 ;

·      Charles seigneur de la Castignière, amiral de France qui fut fait prisonnier à Montereau et mis à mort peu après Jean ;

·      son frère, seigneur de Camblain, tué à Azincourt avec ses deux fils. Ce seigneur laissa pour héritière Marie de Recourt qui épousa Valeraud d'Hingette, seigneur des Obeaux, gouverneur de Lille, Douai et Orchies et qui légua la terre de Camblain à son cousin Jean de Recourt dit « Agavin », fils de François et de Béatrix, dame de Licques.

·      Jacques 1er qui se distingua en Italie et fut nommé échanson de l'archiduc Charles : François III gouverneur de Lille et château d'Aire en 1604, François connu sous le nom du baron de Recour mourut en 1680.

 

            La terre fut alors vendue par décret du Conseil d'Artois en 1621 et achetée par la famille Vignacourt, branche des barons de Pernes, seigneur d'Ourton qui le conserva jusqu'à 1835.

 

            Ce village, l'un des plus poétique du pays d'Artois, est installé au fond d'une longue et profonde vallée, arrosée, fertilisée par la nonchalante rivière « La Clarence » dénommée dans la légende « le fleuve aux eaux claires » « fluvio lus claiens » que ce serait écrié César en la traversant, lors de son passage vers la conquête de l'Angleterre.

            Ce petit ruisseau serpente au milieu d'un grand pâté de collines qui se dressent entre Béthune, Pernes en Artois et Saint-Pol, Camblain-Chatelain est célèbre par son château, sa fontaine de St Quirin et sa pelouse aux fées.

 

            De très bonne heure, dès le VI° siècle, nous voyons mentionné dans l'histoire le nom de cette commune et plusieurs de ses seigneurs ont pris rang sur les tablettes qui ont transmis jusqu'à nous leurs aventures et leur bravoure. La légende de la fontaine nous prouve l'existence de leur château à l'époque des invasions normandes. Sans doute, ce n'était pas une construction aux formes sveltes et élégantes, aux tourelles garnies de niches et de festons ; l'art militaire dominait alors et ne s'amusait pas à orner les donjons. D'ailleurs, les malheurs du temps, les guerres continuelles et les invasions successives des barbares avaient refoulé le goût des arts dans les couvents et ne laissaient plus songer au dehors qu'à la défense et au moyen de se garantir de la fureur et de la rapacité des envahisseurs.

 

 

            Ces donjons n'étaient encore que des mottes de terre entourées de fossés profonds et surmontées souvent de palissades cernant un bâtiment en bois ou quelquefois un petit fort en pierre, percé de meurtrières. Il ne communiquait au-dehors que par un pont mobile que les habitants retiraient à eux en cas de danger. Ces châteaux pouvaient résister momentanément au attaques des maraudeurs qui n'osaient rester longtemps au même endroit et ne faisaient que passer. Les Normands renversèrent tous ces faibles obstacles. Après leur passage, il ne resta plus que ruines et cendres. Les villes se relevèrent comme par enchantement mais les châteaux restèrent abandonnés jusqu'à des temps meilleurs

 

            Camblain vit se redresser son château cette fois en pierres et sa construction fut aussi solide que son aspect fut imposant. Ses châtelains étaient nobles et puissants. Ils étaient déjà possesseurs de la châtellenie de Lens et on citait au loin leur bravoure et leurs action d'éclat.

 

            Ce fut à cette époque qu'un fait extraordinaire - s'il faut en croire la tradition -vint attirer à Camblain l'affluence des pèlerins et des malades. Autrefois, son église avait possédé une relique précieuse de St Quirin, ce prêtre missionnaire qui en compagnie de St Nicaise, avait souffert le martyre en l'année 95 par ordre du cruel préfet des Gaules Sillinius et près de la Roche Guyon à Moutiors.

 

            On sait le miracle accompli à sa mort et comment son corps - quoique attaché à une grosse pierre - surnagea quelque temps au dessus du fleuve dans lequel on l'avait précipité. Plus tard, ce corps fut transporté à Rome et l'un de bras rapporté en France fut donné à l'église de Camblain. Mais les barbares avaient renversé cette église enlevé les ornements précieux et le bras du bienheureux Quirin avait disparu.

 

            En vain, après le départ de ces hordes meurtrières, les habitants sortis de leurs cachettes, cherchèrent-ils cette relique vénérée ; en vain fouillèrent-ils les ruines de l'église et celles des maisons voisines ; en vain parcoururent-ils les taillis et les champs des alentours. Ils ne purent la trouver et, tristes et désolés, ils revinrent décidés néanmoins à rebâtir leur église veuve de son patron ; le château lui aussi se releva comme nous l'avons dit. Ce n'était plus une étroite tour d'accès difficile mais bien vaste et belle construction flanquée de tourelles et de créneaux et offrant à l'intérieur un agréable séjour et une vaste habitation.

 

            Là s'installèrent - loin du tumulte des villes - de paisibles et heureuses années.

 

            Mais voilà qu'un jour... Quelques habitants, en allant le matin à la fontaine qui se trouve contre le village, aperçurent à sa surface un os(sement) humain qui surnageait et qui s'approcha d'eux au moment où ils puisaient de l'eau. Recueilli par eux, cet os(sement) ne tarda pas à prouver son origine sacrée car les malades guérissaient à son seul attouchement. Aussi, quand il eut été constaté que cet os était un humérus, cette partie du corps de St Quirin que possédaient leurs pères, les habitants ne purent douter plus longtemps de son identité et ils le portèrent avec pompe et vénération dans le château où il fut placé avec soin en attendant qu'on put se procurer une châsse, convenable et digne.

 

            Quelques temps après, eut lieu la translation solennelle de ce don du ciel ; la relique fut placée avec grande pompe dans la chapelle qu'on lui avait préparée et le peuple, accourut de loin pour assister à cette fête, se retira content, édifié et surtout dit-on émerveillé du prodige rapporté par ceux qui en avaient été témoin.

 

            Mais voici que le -lendemain, la châsse et la relique avaient disparu. En vain, visita-t-on l'église ; on ne trouva ni trace d'effraction, ni rien qui put révéler par où les ravisseurs avaient pu s'introduire. La surprise fut plus grande encore quand la châtelaine, pénétrant dans l'appartement où avait été placée tout d'abord cette relique, l'y trouva déposée comme avant sa translation et sans qu'on put dire comment elle y était revenue. Aussitôt, une procession s'organisa pour la reporter à l'église.

            Des gardiens y furent placés afin de prévenir un nouvel enlèvement, mais on eut beau faire la translation mystérieuse s'opéra de nouveau, sans qu'on s'en aperçût et de guerre lasse, on fut contraint de céder à la volonté du ciel ; le châtelain s'empressa donc d'édifier contre le château cette chapelle qui resta debout jusqu'à la révolution de 93 et qui, par ses tourelles, son pignons et ses ornements en plein centre, témoignait de son origine romane.

 

            La fontaine parut aussi vouloir donner un témoignage de la sainteté de os(sement) qu'elle avait caché et elle fut encore longtemps visitée par un grand nombre de pèlerins. Les malades affluent et l'on raconte des guérisons attribuées à l'efficacité de ses eaux qui peut-être, tiennent en dissolution des sels minéraux comme plusieurs autres des environs de Saint-Pol.

 

            Après ces événements, Camblain retomba dans le calme et ses châtelains, souvent occupés à guerroyer sous les ordres de leurs princes, laissaient dans leur manoir, leurs familles. Mais Pierre l'Hermite venait de remuer le monde au récit des profanations du tombeau du sauveur. II avait raconté le massacre des pèlerins catholiques par les cruels musulmans et les profanations dont le Saint lieu avait été l'objet, et le monde plein de foi s'était levé à cette lamentation nouvelle. II s'était enrôlé sous la bannière de la croix et avait juré de délivrer Jérusalem et d'écraser ses oppresseurs.

 

            Gozon, sire de Camblain, avait suivi cet élan sublime, lui aussi prit la croix et il avait laissé dans son château sa jeune épouse inconsolable de son départ et un fils tendre objet de leur mutuelle affection.

 

            La pauvre épouse demeura donc seule avec son enfant dans ce manoir devenu presque désert. Des années s'écoulèrent sans que Gozon donna signe de vie. Gozon ne reparaissait pas. La pauvre châtelaine, jeune encore, ne pouvait toujours attendre enfermée chez elle celui dont la mort paraissait certaine ; aussi finit-elle par sortir de la longue réserve et, peu à peu, prit elle aussi sa part aux réunions et aux fêtes organisées aux châteaux voisins. Déjà plusieurs fois elle parut avec éclat à la cour du comte de Saint-Pol et partout elle avait été fêtée ; aussi voulut-elle à son tour réunir dans son manoir ceux qui l'avaient si bien reçue. Une grande fête fut annoncée et pour la rendre digne de la circonstance, la noble dame convia des musiciens et troubadours, trouvères. La réunion fut nombreuse et la grande salle du château put a peine contenir autour d'une vaste table tous ces nobles convives.

 

            Vers le milieu avait été dressée une estrade plus élevée pour les maîtres du manoir et c'est à côté d'un siège vide destiné à l'époux absent que s'assit la dame de Camblain resplendissante de beauté et d'élégance. Les mets les plus exquis se succèdent. Mais voilà qu’apparaît un vase précieux rempli de ce délicieux vin de Chypre, trésor des tables de nos pères, réservé pour les seigneurs les plus puissants.

 

            Alors se remplit et circule la coupe d'apparat ; le silence se rétablit et un noble convive levant en l'air sa coupe porte un toast aussitôt couvert d'applaudissements.

 

            Aussitôt se lève le sire René de Villers, page de la comtesse qui propose au comte de Gozon, maître de ces lieux, boit au bonjour et au bon retour.

 

            Mais l'ironie de son visage, le ton sardonique de sa voix font assez comprendre la perfidie de ce toast. Aussi, personne ne lui répond.

 

            Le dîner s'achève ; vinrent les fêtes et les danses ; la dame fit honneur à son manoir. Elle fut séduisante et agréable à tous. Les convives se retiraient. La nuit venue, la dame de Camblain se retira accompagnée d'un personnage qu’on avait trop bien remarqué pendant le festin, gagna son appartement. Au milieu de la nuit se fit entendre un bruit étrange qui jeta partout l'épouvante. Quelques cris sourds, sinistres râlements, vinrent mettre fin à cette scène d'horreur.

 

            Un double crime venait d'être consommé. La dame de Gozon et le sire de Villers avaient péri sous un fer meurtrier. Cet homme, ce meurtrier, c'était Gozon lui-même revenu en cachette.

 

            On vit s'affaiblir cette belle intelligence. II devint fou. Dans le délire de son imagination, il se crut reporté sous les lois et dans les pays musulmans. II fit raser son château, témoin d'un si grand crime et il fit élever sur ces ruines ce castel que nous admirions encore il y a peu d'années et, par ses arabesques, ses formes ogivales et ses statues ornées de turbans.

 

            Tous les détails du nouveau château sont de style gothique dit « troubadour ». Le cliché reproduit ci-dessus nous le montre tel qu'il était encore en 1824. C'est une litographie Langlumé, d'après un dessin de Villeneuve. L'on voit que cette bâtisse se composait de 2 corps de logis en équerre, au milieu d'un étang comme à Olhain. Chaque angle est garni d'une tourelle dont l'une, la plus grosse, est octogonale ; les deux autres sont circulaires ; les toits terminés en poivrière : le corps de l'entrée était couronné de mâchicoulis. Un pont de maçonnerie lui donnant accès avait remplacé l'antique pont-levis.

 

            Là Gozon réunit des pauvres filles qu'il enleva à leurs parents dans les villages soumis à sa puissance et se forma un harem, témoin des profanations d'un croisé sali par les plus dégouttantes orgies.

 

            Le malheureux Gozon ne survécut pas longtemps à son double déshonneur. Ainsi se termina la légende de Gozon, sire de Camblain-Chastelin.

 

            Un autre site existe aussi à Camblain qui mérite une mention particulière et qui, par le nom qu'il porte, rappelle certaines croyances cette fois superstitieuses en même temps que par ses assemblées qui s'y tenaient annuellement. II nous reporte à des temps et à des habitudes bien éloignés de notre époque et bien contraires à nos moeurs. Je veux parler de la pelouse des fées et du marché aux filles.

            C'est au bord de la chaussée romaine, dite « chaussée Brunehaut », qui s'étend d'Arras à Thérouane, que s'allonge sur une pente raide mais fertile cette vaste prairie que nos pères avaient dédiée aux fées.

 

            C'est là que tous les ans, à la mi-carême, que se renouvelle un usage bien singulier et bien bizarre pour nous, sur cette pelouse. En effet, se réunit chaque année à cette époque toute la jeunesse des alentours et le spectateur voit se dérouler à ses yeux des scènes parfois bien comiques.

 

            Qu'on se figure 400 à 500 jeunes filles formant de longues files de promeneuses ; toutes viennent se faire passer en revue par une foule de jeunes campagnards à l'air hardi à la mise endimanchée faisant leur choix. Bien des mariages découlaient de ces rencontres.

 

            Entre l'église et le château, l'on voyait un moulin bâti en 1623 qui paraît avoir été l'ancien moulin banal. Il a été lui aussi rasé vers 1925.

 

            Nous rappellerons qu'en 1850 on découvrit plusieurs sépultures du IVème siècle et que Me Terniuk a cru reconnaître dans le village des fondations romaines.

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