CHAPITRE QUATRE -- MARLES SOUS L’ANCIEN RÉGIME

MARLES SOUS L’ANCIEN RÉGIME

Quand on étudie l’ancien régime l’on est amené à considérer deux époques: a) du Moyen-âge à l’avènement des Bourbons, vers la fin du XVI° siècle; b) de l’avènement de ces derniers à la Révolution.

Cette division correspond, pour l’étude de la vie rurale du village de Marles, à l’étude sociale des faite des deux grandes familles ayant possédé la seigneurie principale de cette commune; les Noyelles représentant la première partie, et les Beaulaincourt ce que l’on appelle véritablement l’ancien régime.

Le régime social durant ces deux époques est celui que l’on a qualifié de “Féodal”. On a vu au chapitre consacré à la seigneurie en quoi il consistait. Ce qui va suivre sont quelques effets de son application.

Au début, la seigneurie fut une communauté où un homme: le seigneur, grâce à son épée, protégeait et permettait aux tenanciers de travailler, de vivre, et de prospérer à l’ombre de son château féodal. Cette communauté donnait au seigneur le droit de percevoir diverses taxes selon les us et coutumes de chaque région. Tant que les expéditions, les guerres moyenâgeuses, le brigandage feront rage, le rôle du seigneur sera utile et nécessaire.

Un grand historien moderne, parlant de ces temps nous dit: “Seigneurs et vassaux étaient unis entre eux par des liens étroits: ils se sentaient indispensables les uns aux autres. La seigneurie dont l’âme palpite à l’intérieur du donjon de pierre devient une patrie que l’on aime d’un attachement sincère et pour laquelle on se dévoue. Elle se confond avec le seigneur et sa famille, à ce titre on est fier de lui, on conte ses grands coups d’épée, on l’acclame quand sa cavalcade passe le joyeux gonfanon baloyant au souffle du vent”. (1)

(1) Funk Brentano: L’ancien régime.

En cette première partie de l’ancien régime à la noblesse utile, notre région s’était divisée en de nombreuses seigneuries sous la suzeraineté des comtes de Lens et de Boulogne, de cette famille d’où étaient sorti Godefroy de Bouillon, le héros des croisades, et sa pieuse mère, que l’église a placée sur ses autels sous le nom de Sainte-Ide. Leur comté ou chatellanie (2) s’étendait au XIII° siècle, tel que nous l’apprend un document bien précieux que renferme le cartulaire de Philippe-Auguste, sure une grande partie des arrondissements actuels d’Arras, Béthune et Saint-Pôl.

(2) L’Artois était divisé en six chatellanies: Arras, Bapaume, Saint-Omer, Lens, Aire et Hesdin.

Marles relevait de la chatellanie de Lens, à qui ses seigneurs servaient le dénombrement (Jean de Rebecques en 1385 – Pierre de Liestre en 1438 etc.). Cette chatellanie passa dans les mains de la maison de Récourt vers 1300 par le mariage d’Isabelle de Lens dame de Camblain avec Philippe de Récourt, Sr de la Comté Gouverneur d’Artois et demeura dans cette maison jusqu’en 1694. La famille de Récourt possédait un magnifique château fort à Camblain qui dès le XIV° siècle s’appela Camblain Chastelain en souvenir des ses seigneurs châtelains de Lens.

Au début de la féodalité les premiers seigneurs de Marles firent construire, dans ce village, un manoir où ils résidaient remplissant leur fonction de seigneurs protecteurs.

Ce manoir, après bien des transformations, devint le château de Marles. On ne possède pas beaucoup de renseignements sur ce vieux domaine, où les Noyelles et les Beaulaincourt paraissent avoir peu habité. Il fut détruit au commencement du XIX° siècle. Il a été remplacé, à cette époque, par une petite habitation que le comte Jules de Beaulaincourt a vendu vers 1890. (Les vieux Marlésiens se souviennent de cette gentilhommière qui a appartenu à M. Dupré), - voir illustration chapitre Six).

Il est à présumer, d’après ce que l’on possède, qu’il s’agissait d’un moyen domaine en pierres de craie entouré de tourelles. En 1782, il se trouvait déjà en très mauvais état; lors de la vente mobilière faite à Vaudricourt l’abbesse d’Etrun écrivait à sa nièce la comtesse de Marles qui s’était retirée au château de ce lieu: “Prenez du repos et de la tranquillité votre état le demande, vous faite bien de vous retirer pendant la vente: cependant je pense que vous serai (sic) mal logé à Marles” et dans une autre lettre: “je pense que vous allé (sic) être bien gêné à Marles”. (1)

(1) R. Rodière et la Charie. Archives de la famille de Beaulaincourt.

Dès que la seigneurie passa aux mains de la famille de Noyelles, vers la fin du XIV° siècle, les seigneurs de cette maison eurent peu de temps à consacrer au village de Marles; grand dignitaires d’Artois, occupant de hautes charges, ils se devaient tout entier à leurs missions, laissant l’administration de leurs seigneuries à des fonctionnaires féodaux.

Leur maison, très importante, possédait une organisation administrative assez développée. Il faut noter qu’entre temps, depuis les XII° et XIII° siècles, le rôle de la noblesse, en tant que défenderesse du pays, a presque disparu avec la fin des brigandages et surtout avec le développement du pouvoir royal, qui avait repris aux nobles le soin d’assurer l’ordre dans le royaume. Mais, tous les droits payés par les communautés à leurs seigneurs, pour les services militaires rendus, continuèrent à être perçus, bien que ces dits services n’existassent plus; la coutume étant établie l’on continuait à la respecter, d’où l’esprit d’injustice attaché aux droits féodaux, qui ne représentaient plus la compensation légitime d’autrefois. Dès ces temps, être propriétaire d’une seigneurie était devenu synonyme de propriétaire foncier… de propriétaire d’un bien qu’il fallait faire fructifier, et les seigneurs de Marles furent de ceux qui ne négligèrent pas leur domaine.

Les Noyelles furent représentés, dans la seigneurie principale de Marles, par un bailli assisté d’un lieutenant (1). Chaque seigneurie possédait ses livres de comptes, où étaient détaillées avec minutie: recettes et dépenses. L’on conçoit immédiatement le précieux concours qu’apporte l’étude de ces registres, aux historiens dans leurs recherches. Dressés par les receveurs de terres, on y trouva relaté, dans les moindres détails, toutes les opérations effectuées. Ceux de la seigneurie de Marles se trouvent aux archives de Pas-de-Calais, fonds de Noyelles. En voici une analyse, qui nous montre quelques aspects de la vie intérieure de la seigneurie principale de cette commune, et nous donne une idée de ces temps.

(1) On a vu au chapitre “Seigneurie” le rôle de ces fonctionnaires.

De 1528 à 1632, on trouve 63 comptes présentés par Pierre Le Talle, puis par Jehan le Machon et Adrien Le Talle. Celui de 1561 par J. Carpentier prêtre. Celui de 1584 est rendu par Jaspart de France demeurant à Béthune qui fut receveur des terres de Noyelles jusqu’en 1630, c’est son neveu Hugues de Candas, Sr de la Chapelle, qui présente celui de 1632; il semble en avoir constitué la gérance, jusqu’à la mise en vente de la seigneurie.

Le compte de Pierre Le Talle nous apprend que la cense (1) de Marles était baillée à ferme et à cense à Simon Flaiolet et qu’il a été payé à Philippe Wigneron charpentier à Lozinghem la somme de 7 florins 10 patars pour avoir “rédiffié” la porte de la dite cense: “qui avoit esté abbatue par des grands vents et redrischer le charpentaige”.

(1) Cense: ferme tenue dépendante de la seigneurie baillée à rente ou à Cens.

Le compte de 1632 nous apprend que le bailli de Marles était à cette époque: maître Flourent Couronnel, procureur du roi à Béthune, avec 60 sols de gages annuels. Le receveur des terres touchait le seizième denier de la recette, il eut cette année là: 41.3 S. 6d.

Les comptes présentés par J. Carpentier, prêtre, contiennent des tas de détails domestiques, voici les plus curieux: “avoir dépensé 8 livres pour faire construire un chariot, et 78 sols pour achat de plusieurs fillaiges et deulx fromaiges; 12 s. 6d. pour trois milz d’esplinghes raportez de Parys”.

En 1610 est cité Martin Bacheler curé de Calonne et Marles. En 1628 “damp Jehan de Noielle pbre, religieux de l’abbaye de Chocques, Curé dudit Marles et Calonne”.

A ces comptes sont joints des papiers d’actes intéressant la seigneurie:

Le 30 Juillet 1547, on relève la vente de terre par Pierre Henneuse et Antoine Warin laboureur; la saisine baillée (1) leur est donnée par Eloy de Fontaines, lieutenant du bailli au nom d’Adrien de Noyelles.

(1) Saisine baillée investiture donnée par le seigneur d’un héritage dont on a fait l’acquisition.

Le 31 Janvier 1567-1568, bail par lequel moyennant 270 carolus (2) et 20 patars (3) + deux mencaux (4) de bons poids (sic pois) Walleburge de Boitezelaire veuve d’Adrien de Noyelles donne la cense de Marles à Jehan Baudin, labourier au petit-rieu paroisse de Lillers.

(2) Carolus: monnaie de billon émise par Charles VIII
(3) Patar: Pièce de monnaie fabriquée en France sous Louis XII id. au liard.
(4) Mencaux: mesure de valeur très variable ou rasière.

Le 28 Janvier 1574: relevé des héritages de feu Jehan d’Auchel à Madame de Marles.

Le 5 Février 1577: aveu et dénombrement servis par Gille Occre, laboureur à Calonne-Ricouart, procureur de Dame Adrienne de Guiselin, veuve de Jehan d’Auchel.

Le 17 Juillet 1584 dénombrement fait par “Ipolite (sic) de Manchicourt mary de Quentine Sartel à Adrien de Noyelles d’un fief contenait sept quartiers (5), prins à l’encontre de quinze quartiers de Martin Sartel”.

(5) Quartier: quart de mesure. La mesure valait 100 verges ou à Marles 42 ares 91 ca.

Le 17 Octobre 1603: bail de la cense de Marles à Jehan Caudron, Labourier à Marles, marié à Adrienne Flajollet.

Le 10 Novembre 1604: cession de ce bail par Jehan Caudron à son beau-père Simon Flajollet, époux de Marguerite Lheure.

Le 6 Mai 1611, Bail de la cense de Marles à Charles Réant, labourier à La Pugnoye.

Le 20 Janvier 1634: Maître Gille Tacquet, bailli de Marles, au nom de Eugène de Noyelles comte de Marles, afferme la cense de Marles à Jacques Cardon et Jacqueline Sauvel, sa femme.

Le 4 septembre 1634: Condamnation de Bernard Pinne, demeurant à Marles pour avoir pêché dans la rivière de Marles; le droit de pêche appartenant au seigneur seul (Sentence du Conseil d’Artois à la requête de Messire Eugène de Noyelles comte de Marles).

17 Juin 1643: Bail à ferme de la cense de Marles à Jacques Cardon, censier dudit Marles. “Le preneur sera dispensé de payer s’il venait une armée ou fouldre du ciel ou aultre force majeure”.

Puis l’affiche de la vente de la seigneurie de Marles en 1692 environ; seigneurie qui passe aux mains de la famille de Beaulaincourt.

Le changement de propriétaire de la seigneurie de Marle coïncide avec ce que Monsieur Funck Brentano appelle “L’ancien Régime” proprement dit, le régime qui aboutira à la Révolution française.

Nous avons vu au chapitre précédent intitulé: “La Seigneurie”, la marche de la vente et comment Jean Georges de Beaulaincourt, seigneur de Labeuvrière, devint seigneur de Marles en exerçant le retrait lignager sur Louis de Brias.

A cette époque un plan, daté du 6 Mars 1695, nous donne un aperçu de ce qu’était Marles en ces temps; en voici le texte:

Carte figurative de la rivière depuis le maretz jusqu’au pont du lieu y nommé le Wezt et des héritages y tenantes; limitée à l’est par le chemin passant au dit Vet à Marles (chemin de Bruay), à l’ouest par le marais (Quénehem). --- Au sud se trouve la maison du Seigneur du Bourcq (François de Beauffremetz), le manoir du Seigneur du Bourcq et à Claude de Beugin; des terres au Seigneur de Lières dites les tourbes, une terre au Seigneur de la Ferté, le manoir du Seigneur de Lières et d’Alexandre Croix; au nord: le manoir amazé du Seigneur de la Ferté, les près du Seigneur de Lières, les prés du Seigneur de Marles, et une autre maison du Seigneur du Bourcq”.

Comme on peut s’en rendre compte, à la lecture de ce document, le territoire de Marles, avec ses trois seigneuries enchevêtrées les unes dans les autres, ainsi que les nombreux fiefs en dépendant, était morcelé autant qu’aujourd’hui sous notre régime de la petite propriété; l’on s’en fait encore une idée plus complète, lorsque l’on étudie les rôles des vingtièmes et centièmes (1) qui nous donnent les noms de tous les imposés à ces contributions foncières.

(1) Rôle des propriétés foncières (cadastre de cette époque).

Avec la seigneuries des Beaulaincourt, Marles ne fut plus un propriété que l’on gère de loin, lui faisant produire ce que les droits féodaux pouvaient lui faire rapporter. Jean Georges de Beaulaincourt, premier comte de Marles de cette famille, vint de temps à autre séjourner au château de Marles. Son premier soin est d’asseoir. Solidement ses droits sur son nouveau comté. Il entreprend nombre de recherches afin de les établir dans leur intégrité puis, de les faire respecter, ce qui lui amènera de nombreuses controverses et même des procès avec les autres seigneurs de Marles.

PHOTO II -- Thérèse Henriette Védastine Henry, dame de Vaudricourt, Comtesse de Marles, 1724-1755
Rodière et la Charie, Archives de la famille de Beaulaincourt, Reproduction E. Ducastel.

Sa recherche des titres de propriété de la seigneurie de Marles le conduit à une procédure contre Monsieur de Piétra Santa, le descendant du dernier des Noyelles, afin que ce dernier lui restitue divers papiers seigneuriaux.

Cette affaire ne se termina qu’en 1699, par un arrêt du Parlement de Paris où il fut débouté. Ensuite, il intenta une action contre le seigneur de Lières, propriétaire de la seigneurie de Wezt à Marles. Les seigneurs principaux de Marles soutenaient qu’une partie des terres de Wezt à Marles relevait d’eux et, par suite, que le seigneur de ce dernier lieu devait leur payer divers droits féodaux; ce que ne voulurent jamais admettre les propriétaires du Wezt à Marles.

Cette question amènera un tas de contestations, que l’esprit chicanier de Jean Georges de Beaulaincourt ne se lassera de remuer. Le 15 Février 1698 le conseil d’Artois maintient Jacques de Lières, seigneur du Wezt, en possession d’avoir un ventaire sur la rivière fluante au village de Marles lequel, néanmoins, servira à faire flotter les prairies du seigneur de Marles aussi bien que celles du seigneur du Wezt.

Par requête, en date du 26 Février 1693, Jacques de Lières avait déjà poursuivi Jean Georges de Beaulaincourt pour lui avoir fait abattre six ormes qu’il avait plantés à l’entour d’une chapelle sur les bords d’un champ de 18 mesures, nommé champ de la Neuve-Rue.

Ils eurent ensuite plusieurs procès au sujet des droits de plantation, de pêche, de ventaire sur la rivière, etc. Cinq sentences du Conseil d’Artois déboutèrent le comte de Marles qui en appela au Parlement. Ces affaires ne pas terminées à sa mort, et c’est son fils, Philippe Alexandre de Beaulaincourt, qui mit fin à toutes ces procédures par un arrangement avec Messire Jean Herman de Hinnisdaël, baron de Fumal, seigneur de Ferfay et héritier de Jacques de Lières seigneur du Wezt à Marles.

Jean Georges de Beaulaincourt est le type classique de la noblesse de province fin XVII° siècle et XVIII°. Trop pauvre pour vivre à Versailles, et menant la vie des nobles campagnards qui passaient leur temps à administrer leurs biens, après avoir, dans leur jeunesse, servi le roi dans ses armées, d’où ils revenaient avec la croix de Saint Louis. Cette administration de leurs domaines était leur principale occupation, surtout quand la famille était nombreuse; il fallait de l’argent pour établir les garçons et doter les filles et, à noter qu’à cette époque le commerce, principale source de profit, leur était défendu et réservée à la bourgeoisie. Aussi les seigneurs de campagne ne pouvaient tirer leurs revenus que de leurs propriétés foncières sur lesquelles il exerçaient scrupuleusement leurs droits féodaux et si besoin se faisant sentir, ils versaient facilement dans l’abus, ce qui fera baptiser les nobles ruraux de hobereaux dont certains exagéreront, finalement à tel point, que le pouvoir royal sera obligé d’intervenir pour faire régner la justice. Ces abus sèmeront petit à petit dans le coeur du paysan le levain de la révolte.

Ce serait exagérer d’affirmer que Jean Georges de Beaulaincourt abusa de ses droits, néanmoins, tout en nous gardant de juger le passé sur les documents qu’il nous a laissés, ces papiers ne signalant que les abus, les faits exceptionnels qu’il ne faut pas généraliser, l’on peut conclure que le comte de Marles fit rendre à sa seigneurie tout ce qu’elle pouvait lui procurer; maintenant ses droits et les faisant respecter.

Ses descendants suivront la même voie, sans négliger de faire fructifier leur avoir. En 1721, le 28 Juillet, Philippe Alexandre de Beaulaincourt passe un contrat avec Jean Baptiste Morel “meunier et m’hollieur, demeurant dans la paroisse de Lillers”, afin de construire un moulin à tordre huile, à Marles au lieu-dit la “Planche du Maret”. En 1725, il intente un procès à sire Joseph Malbrancq, curé de Calonne-Ricouart et Marles, qui prétendait pour se rendre à l’église de ce dernier lieu, emprunter une piedsente traversant les pâtures et vergers de la seigneurie et avait le 21 Mai 1724, avec l’aide de son clerc et de son valet, arraché la haie du clos des pâtures dudit seigneur et brisé la barrière de son verger de Marles; le curé prétend qu’en hiver le chemin de Marles à Calonne est impraticable et que le passage par la piedsente a lieu depuis un temps immémorial et se trouve nécessaire.

Ce procès ne nécessite pas mois de 50 pièces, on y trouve mêlés les noms de Coez et Dupont de Calonne et Jacques Berroyez et Marie Joseph Attagnant dit Joso sa femme, au service du comte de Marles.

En 1761, Alexandre Auguste Joseph de Beaulaincourt fait saisir un quartier de terre tenu en fief du comte de Marles, appartenant à Charles de Beaufromez, laboureur demeurant à Auchel, tenant à une autre terre possédée par Pierre de Beaufromez.

Ce même seigneur intente un procès contre M. le Procureur du Roy à sa gouvernance d’Artois, à propos d’un dommage causé sur ses terres pendant des marches militaires, par un nommé Dubuisson. Le Procureur forme opposition à l’arrêt rendu le 29 décembre 1778 en faveur du seigneur comte de Marles, sous prétexte que: “La terre, justice et seigneurie de Marles, n’est pas du ressort de la gouvernance d’Arras; elle ne relève pas non plus de la gouvernance de Béthune, mais bien du Château de Lens et les baillages justiciables de la mère Ville de Lens”. (1)

(1) Mémoire conservée aux Archives nationales. En passant remarquons l’enchevêtrement au point de vue justice du système féodal, Marles qui se trouvait sans la gouvernance de Béthune, est justiciable de Lens.

En 1789, un nommé Jean Baptiste Mallet est condamné au sujet d’un droit de terrage, condamnation obtenue par Ange Guilain Joseph Alexandre de Beaulaincourt. (2)

(2) Cette condamnation aura des répercussions et fera de Jean Baptiste Mallet un ennemi acharné du régime féodal. On verra plus loin le rôle de cet homme, lors de la Révolution.

Comme on le voit il fallait être en règle avec le code féodal que faisait respecter le seigneur; ce qui était naturel puisque ce code, comme nous l’avons déjà dit lui assurait ses seules ressources et souvenons-nous que le seigneur n’en possédait pas d’autres, le noble ne pouvant être à la lettre, sans dérogeance, qu’un agriculteur; il n’était pas rare de voir, à cette époque, nombre de féodaux à la tête de leur exploitation agricole diriger leur domaine.

Les comtes de Marles, seigneurs de Vaudricourt, n’en étaient pas là; néanmoins, à l’aube de la Révolution, leur maison ne connaissait plus la même fortune qu’au début du XVIII° siècle. Les femmes apportaient toujours des dots importantes mais les besoins de la famille --- d’une famille toujours nombreuse --- nécessitaient beaucoup.

La vie des comtes de Marles, en leur domaine, était semblable, dans ses grandes lignes, à celle de tous les nobles de province; on passait l’été à la campagne dans les différents châteaux de Labeuvrière, de Vaudricourt, de Beauvoir-la-Rivière, de Marles (de moins en moins en arrivant vers la Révolution, car le château de Marles se trouvait dans un état lamentable); là les occupations principales étaient: l’administration des biens seigneuriaux, les visites aux nobles des alentours, en général, parents de la famille, les petites fêtes champêtres, la pêche et surtout la chasse qu’ils gardaient jalousement; les peines étaient sévères contre les délinquants et pouvaient aller jusqu’aux galères. Les prohibitions destinées à favoriser les plaisirs de la chasse étaient nombreuses: défense d’enlever les chardons et les pissenlits des champs et des prés hors de la surveillance des gardes; et l’on imagine que ces derniers n’étaient pas toujours disposés à donner leur temps à cette surveillance, défense de couper les sainfoins avant la Saint-Jean, de cueillir les herbes dans les graines après le 1er Mai et, parmi toutes ces prescriptions, obligations d’épiner les terres dès après la récolte, c’est à dire d’y planter des buissons d’épines, afin de créer des asiles au gibier. On imagine la multiplicité et la violence des plaintes dans les cahiers de 1789 de la part des paysans contre le droit de chasse qui leur était si préjudiciable et cette rancoeur de Jacques Bonhomme contre une classe, qui seule avait ce droit, alors qu’instinctivement dans tout homme se trouve un chasseur.

Une lettre, adressée du château de Ferfay par le petit-fils du comte de Marles, le comte de Genevières, à son parent, le vicomte de Marles, nous fait connaitre le programme des amusements pour une semaine, parmi les autres et nous prouve que notre région devait être très giboyeuse; Voici le texte: “Aujourd’hui, dit-il, il y aune grande chasse à Ferfay, demain à Calonne et après demain à Labeuvrière etc. ” A cette époque plus du tiers du sol de notre région était couvert de bois et se prêtait fort bien à ce divertissement.

L’hiver, la noblesse aisée se retirait sans les villes. Beaucoup de nobles de nos régions possédaient de confortables hôtels particuliers à Béthune. Celui du comte de Marles était luxueux; c’est l’ancien palais de justice de cette ville, qui fut détruit durant la guerre de 1914-1918.

Si nous étudions la vie sociale des tenanciers des seigneurs de Marles, nous brosserons un tableau général de la vie rurale en Artois. Les trois quarts des ruraux sont “laboureurs”, pour employer le terme ancien que l’on trouve toujours dans les documents antérieurs à la Révolution, et que l’on a remplacé aujourd’hui par celui de cultivateur, Les biens seigneuriaux réunis en une administration agricole baptisée du nom de “Cens de Marles” sont mis en location. Nous avons vu plus haut que les transactions dont elle fut cause.

Albert Mallet dans son histoire de France: “é poque contemporaine”, nous dit que les “censitaires” étaient les plus malheureux de tous. Cela ne s’applique pas à l’Artois où en général les terres sont fertiles et les “cens” florissantes; les laboureurs certes ne sont pas riches, ils mènent une vie qu’aujourd’hui avec nos moyens modernes d’existence, nous qualifions de misérable et qui pourtant, à cette époque, était substantielle. Dans les années d’abondance la nourriture se composait de pain, -- de ce pain de France presque de pur froment, -- de laitage, de soupe au chou et de lard. Dans les années de disettes on additionnait au froment du seigle pour fabriquer le pain de méteil et aux temps durs, la viande se faisait très rare. Ce que craignait le plus le paysan c’était les hivers rudes qui semaient la misère. Dans un autre ordre d’idée, un fait caractéristique bien français, qui existe encore de nos jours, était et est encore la soif du paysan à posséder de la terre.

En Artois, en majorité, le fermier était propriétaire de sa terre; son souci est d’acheter le plus de propriétés foncières possible. C’était et c’est encore une rude race de cultivateurs qui arrivaient, vers le XVIII° siècle, à faire de cette province l’une des plus prospères du royaume: Horace Walpole le littérateur anglais, fils du ministre britannique, traversant l’Artois en 1765, déclarait: “Je trouve ce pays-ci prodigieusement enrichi … les moindres villages ont un air de prospérité”.

Le village d’Artois à la fin de l’Ancien Régime avait déjà la figure que possèdent encore de nos jours nombreux bourgs de notre province. Une église en pierre de craie autour de laquelle se groupent les maisons en torchis (argile mélangée à de la paille coupée et encastrée dans les compartiments de bois) le toit couvert de chaume, puis plus tard, à cause de nombreux incendies, la tuile fera son apparition.

Marles ne dérogeait pas à ces règles communes, la plus grande partie du village se trouvait dans le bas, près de la Clarence, à l’emplacement de la Place Pierre Carette d’aujourd’hui; le Wetz, plus en aval, vers Lapugnoy, Ses maisons, ses manoirs (grandes maisons en pierres de craie), son église entourée du cimetière, son château avec son verger, les nombreux arbres qui l’ombrageaient (Marles était bien planté), les bois couronnant les deux coteaux qui bordent la rivière, ses marais poissonneux, faisaient de ce village une agglomération type du bourg important d’Artois avant la Révolution et certes, à cette époque, à la belle saison, Marles avait une autre figure tout imprégnée de poésie terrienne, qu’on ne lui connaît plus aujourd’hui.

Avant de clore ce chapitre le lecteur aura, sans doute, la curiosité de connaitre quelles étaient les familles qui formaient ce village de Marles sous l’ancien régime et qui vécurent la vie que nous avons essayé de décrire.

Nous allons pouvoir le satisfaire grâce aux registres d’Etat-Civil dit de catholicité parce qu’ils étaient tenus par le curé de la paroisse, et que l’administration française avait introduits en Artois lors du rattachement de cette province à la France. Pour Marles les Mines, le registre des baptêmes remonte à 1705, ceux des mariages et des sépultures à 1714. On y relève les noms des ancestrales familles marlésiennes: Berroyez, Beaufromai (mez ou mé), Buchart, Beugin, Catelain, Carpentier, Crespin (Crépin), Cointe, Cardon, Ceugnet, Carlier, Caron, Cornet, Cheval, Delmotte (Delemotte ou Dellemotte), Desprez (ou Despret), Dupont, Delehaye, Doley (Dolet), Guffroy, Hernu, Hautefeuille, Herman, Joly, Legrand, Morel, Martin, Malet (ou Mallet), Sartel, Sergeant, Toursel, Vincent, Willerez.

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