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CHAPITRE CINQ -- PÉRIODE RÉVOLUTIONNAIRE

PÉRIODE RÉVOLUTIONNAIRE

Quelles furent les répercussions de la grande tourmente sur Marles?

Comme dans toutes les communes de France cette transformation gigantesque, d’un régime archaïque dans le plus profond de ses fondements, devait y laisser trace.

Le cadre de cette histoire locale est trop étroit pour entreprendre, ici, une étude approfondie sur les causes de la Révolution; des plumes très autoritaires l’ont déjà faite, et l’on s’en fait une idée en lisant les doléances des cahiers de la Gouvernance de Béthune, que l’on trouvera relatés plus loin pour ce qui concerne notre région.

Le mauvais état des finances, corollaire des mauvaises affaires de l’état, rendait les impôts très lourds (déjà à cette époque). La morgue et l’arrogance de certains nobles, à qui diverses servitudes, plus ou moins vexatoires étaient dues, irritaient le peuple. Les hivers rigoureux provoquaient de cruelles famines. La division de la propriété en multiple parcelles nuisaient énormément au développement de l’agriculture. Aussi, bien que sous Louis XVI, les derniers vestiges de l’esclavage aient disparu, et qu’en 1789 bon nombre de paysans soient propriétaires de leur terre, cette classe paysanne, la plus nombreuse, eut-elle des réclamations proportionnées à son importance et à ses droits méconnus. Les cahiers de doléances, vivante et exacte image de la France du XVIII° siècle, nous en entretiennent longuement.

Ceux de la Gouvernance de Béthune, qui sont la quintessence des cahiers des paroisses, réclamaient en résumé: “Une meilleure répartition des centres d’élection pour les futurs Etats-Généraux; la construction des chemins et des routes dont on a un si grand besoin; la suppression des moulins qui donnent lieu à des inondations; la fixation de la chasse après les récoltes; l’autorisation du port d’armes aux habitants de la campagne; le retrait des privilèges de médecine et de chirurgie à des gens qui ne sont pas agrégés des facultés. Ils demandent que les dépenses de défense nationales soient mises à la charge de l’Etat, et non à celles des villes; que les mouvements de troupe aient lieu au printemps; que les maîtres maçons, charpentiers et menuisiers ne puissent être privés de leurs ouvriers même pour le service du roi; que l’état procède à l’unification des mesures; que les impôts soient supportés par les trois ordres: que les privilèges féodaux soient abolis; que les dîmes soient affectées au paiement des portions congrues des curés et des vicaires afin que leur subsistance soit assurée, etc.”. (1) On retrouve là toutes les aspirations générales du peuple de France avec toutes les réformes que sanctionnera la Révolution.

(1) Mémoire conservée aux Archives nationales. En passant remarquons l’enchevêtrement au point de vue justice du système féodal, Marles qui se trouvait sans la gouvernance de Béthune, est justiciable de Lens.

Pour donne une idée des réclamations de nos villages et montrer à quel point les idées répandues par les philosophes du XVIII° siècle avaient travaillé nos villageois, voici un extrait du cahier de doléances de Burbure. “Nous sommes accablés d’impôts parce que les ministres et leurs agents, tant dans l’administration que dans la finance, sans égard aux lois du royaume qui veulent que les Français ne puissent être taxés que de leur consentement, ont insensiblement écarté ou renversé toutes (sic) les obstacles --- et augmenté jusqu’à l’excès par l’effet de leur seule volonté la charge du peuple dont ils ont dissipé les produits”.

Les trois ordres, réunis à Arras, nommèrent leurs députés aux Etats-Généraux. La députation d’Artois, à ces dits Etats se composait de 16 députés: 4 pour le Clergé, 4 pour la Noblesse, 8 pour le Tiers, parmi lesquels se trouvait Maximilien Marie Isidore de Robespierre, avocat au Conseil d’Artois.

Les habitants de Marles apprirent, au mois de Mars 1789, en assistant à la messe, que “Sa Majesté” convoquait les Etats-Généraux du “roïaume”. La convocation royale, publiée au prône de l’église, et affichée à son portail, invitait les paroisses à établir leur cahiers de doléances, et à envoyer des représentants à Béthune afin d’y rédiger, le cahier de doléances de la Gouvernance et à désigner les députés de ladite Gouvernance qui, à leur tour, se rendirent à Arras pour établir, avec leurs confrères, les cahiers de doléances des Etats d’Artois et nommer les députés du Tiers, à l’Assemblée de Versailles.

Nous avons vu plus haut, ce que réclamaient, en substance les cahiers de la Gouvernance de Béthune. Quelques mois s’écoulèrent avant que les populations rurales furent bien au courant de ce qui se passait: des bruits divers circulaient: les cerveaux s’échauffaient et plusieurs rébellions contre l’autorité seigneuriale furent enregistrées.

L’esprit nouveau fut incarné à Marles par un nommé Jean Baptiste Mallet. Ce personnage était un fermier de Marles qui, dès le début de l’année 1789 avait refusé de payer un droit de thérage (1) au seigneur Ange Guilain Joseph Alexandre de Beaulaincourt, qui l’avait fait condamné à cet effet par le Conseil d’Artois. Cette condamnation avivera fortement la haine de ce “laboureur” contre l’Ancien Régime, et fera de lui le chef de la fraction révolutionnaire Marlésienne.

(1) Thérage ou terrage: Droit du seigneur de prélever du blé ou des légumes sur les produits de la terre..

Dès le début de l’ère nouvelle, on le voit discourir dans les quelques cabarets du village sur les faits nouveaux: on l’écoute, on surenchérit, et, à la tête de condisciples et d’adeptes aux idées nouvelles, on décide de ne plus payer le thérage; ce fameux impôt qui est pour eux l’emblème de la servitude.

A cette époque , le comte de Marles séjourne en son château de Beauvoir; ses hommes d’affaires Wallerez et Delières de Marles lui font part, en une lettre datée du 9 Septembre 1789, et devenue document précieux pour cette étude, de l’état d’esprit des Marlésiens; Voici la copie du texte:

A Monsieur le Comte de Marles… à Beauvoir Rivière: Nous avons l’honneur de vous écrire celle-ci pour répondre à la vôtre à l’égar de ceux qui ne veul pas payer le thérage nous vous assurons que si vous ne les châtiez pas, il vous cracheron au visage; ce comme de lion rougissant. Jusqu’à portal de l’église il on prie les dimeurs au colet; le vicaire a voulu parler, il lui on dit de sautisse à lui défendre de monter dans la chaisse de véritée; soi-disant qu’il ne dissoit pas la véritée de tous les ordonnance qui a lu au pronne…. Jean Baptiste Mallet, capitaine de mutin, etc. … Si vous ne châtiez pas tous ce gens là plus personne ne payera. Nous avons l’honneur, etc. …” --- Signée: WALLEREZ et DELIERE (1)

(1) Archives de la famille de Beaulaincourt. R. Rodière et La Charie.

Cette missive nous montre, d’une façon saisissante, comment débuta l’ère nouvelle de Marles; on refuse de payer les droits seigneuriaux et les privilèges ecclésiastiques; le respect n’existe plus pour les institutions; on discute ferme et durant toute cette époque troublée, il existera à Marles, un clan patriote à l’esprit révolutionnaire, des tièdes approuvant toujours, et aussi plusieurs familles fidèles à l’ancien régime (on le verra plus loin lorsque la lutte religieuse entrera dans sa phase la plus aiguë).

En 1791, les deux fils du comte de Marles: Ange Philippe Auguste Joseph de Beaulaincourt et François Joseph Ange Philippe Alexandre de Beaulaincourt, prennent du service en Espagne dans un corps français: les gardes Wallonnes. Bien qu’ils aient quitté la France avant la loi sur l’émigration, leur départ sera mal vu et mal jugé des autorités révolutionnaires et sera la source de nombreux ennuis pour leur père.

Sous la royauté constitutionnelle le mouvement nouveau des idées ne l’avait pas inquiété, il avait même formulé en 1790, en tant qu’ancien colonel, une demande de retraite que l’assemblée nationale avait accordée aux ex-militaires. Mais quand la Révolution fut proclamée et que la terreur s’installa, les choses se gâtèrent pour lui. Les persécutions contre les ci-devants commencèrent et ne l’épargnèrent pas.

En Juillet 1793, il est obligé de verser 3541 L 12 s, en assignats, pour l’habillement et la solde pendant un an de quatre volontaires en remplacement de ses enfants émigrés, suite à la loi dite des otages. (Tous les pères et mères de France étaient tenus de justifier en France de l’existence de leurs fils disparus. Ils devaient fournir l’habillement et la solde de deux hommes par enfant émigré à raison de 15 sols par jour). Petit à petit la suspicion va sans cesse grandissante vis-à-vis des nobles; des mesures de plus en plus rigoureuses les frappent. Le Comte de Marles, comme les autres, doit, à chacun de ses déplacements fournir un certificat de résidence; voici le libellé d’un de ces certificats qui nous donne, dans son laconisme officiel, le portrait du dernier seigneur de Marles: “Certificat de résidence délivré à Ange, Guilain, Alexandre, Joseph de Beaulaincourt, âgé de 52 ans, tailles cinq pieds (1) deux pouces, cheveux et sourcils châtains, yeux bruns, nez long, bouche grande, menton à la galoche, front haut, visage long et coloré; demeure rue des Promenades à Arras, maison appartenant au Citoyen Hespel; y a résidé depuis le 28 décembre 1791”. (Voir hors-texte III).

(1) Pied: le pied type valait 12 pouces, soit 0m,324.

Les dispositions les plus sévères continuent à être prise contre la noblesse: le 4 pluviôse An II (23 Janvier 1794) le district de Montagne sur mer ordonne la mise sous séquestre du château de Beauvoir et de toutes ses dépendances, appartenant au comte de Marles. Le 25 pluviôse de la même année, il est obligé de déposer au greffe de la commune d’Arras ses titres de féodalité qui sont brûlés.

Le 17 Mars 1794 (An II, 27 Ventôse) il est arrêté. Sa maison d’Arras est mise sous séquestre et le 16 Germinal An II (5 Avril 1794) le tribunal criminel et révolutionnaire du Département du Pas-de-Calais, le condamne à la peine de mort, en même temps que Ignace Godefroy de Lannoy, Henri Wasservas, Louis Ignace Joseph Le Sergeant, et Lamoral, Eugène François Marie d’Aix, “ex-nobles” convaincus d’être auteurs ou complices de “la trame ourdie contre le Peuple Français et sa liberté, ayant signé une déclaration contraire aux principes de la Liberté et de l’Egalité”. (1) Il fut guillotiné à Arras le 16 Germinal An II (5 Avril 1794).

(1) A. J. Paris: La terreur dans le Pas-de-Calais. Histoire de Joseph Le Bon.

Ses biens, jusqu’ici sous séquestre furent définitivement confisqués au profit de la nation. Les meubles furent vendus en criée; les immeubles furent divisés en petits lots, de manière à multiplier les propriétaires, et dès Mai 1794, la vente des biens du comte, sis à Marles, commença. En voici les détails: “le 12 Prairial An II: Deux mesures, seize verges de jardin potager sur lequel se trouve érigé le ci-devant château de Marles, au ci-devant guillotiné Beaulaincourt sont adjugés à François Vincent pour 6.700 livres. Le 25 Messidor An II (1794, 13 Juillet) Jean Baptiste Morel, fermier à Marles achète sept quartiers de terre (Biens nationaux sis à Marles au ci-devant guillotiné Beaulaincourt, dit l’acte) pour la somme de 3649 livres 3 sols 3 deniers”. Cet achat semble avoir été fait Jean Baptiste Morel homme de confiance des Beaulaincourt, pou leur compte: on le verra plus tard revendre ces biens à leurs premiers propriétaires; un papier daté du 24 Germinal An XI (1803) nous montre que Jean Baptiste Morel cède aux enfants de feu le comte de Marles, ces sept quartiers situés au dit Marles, tenant du midi à la Clarence, au levant audit Morel, de cochant à Adrien Grard, du nord au chemin du château.

La chute de Robespierre, le 10 thermidor (28 Juillet 1794), entraîne celle de Joseph Lebon et signifie la fin de la terreur et le commencement de la réaction thermidorienne. Les prisons s’ouvrent et laissent sortir, peu à peu, leur contenu (1).

(1) M. A. J. Paris signale dans son livre. La Terreur dans le Pas-de-Calais, que le 16 Prairial (1795), suite aux ordres de Le Bon, le tribunal révolutionnaire de Cambrai, condamna à mort, en deux heures de temps, vingt quatre accusés, venant de la prison de Bapaume, parmi lesquels se trouvait un ancien récollet, originaire de Marles, Louis Villery (il faut lire Willerez) qui fut guillotiné pour “avoir cherché par ses discours fanatiques à soulever le peuple contre la représentation nationale.”

Entre temps la comtesse de Marles qui avait été arrêtée à Béthune, est mise en liberté, le 27 fructidor An II (13 Septembre 1794). Il semble que, pendant les dernières années de sa vie, cette femme employa toute son énergie pour sauver ce qu’il lui restait de fortune et qu’elle tâcha de reconquérir ce qu’elle avait perdu. Elle arriva, soit par restitution de l’Etat, ou par rachat, à rentrer dans la majorité de son avoir; ses derniers buts furent d’obtenir du gouvernement la restitution de ses biens encore sous séquestres et la réhabilitation de la mémoire de son mari. Un certificat de résidence, daté du 8 floréal (27 Avril 1795) d’Arras, nous apprend qu’elle a 48 ans, taille 4 pieds ½, cheveux et sourcils bruns, yeux bruns, nez bien fait, bouche moyenne, menton rond, front haut, visage ovale et pâle.

Dans un compte de tutelle elle déclare: “que la régie nationale s’est emparée de tout le mobilier tant en sa maison d’Arras qu’aux châteaux de Marles, Vaudricourt et Beauvoir-Rivière, ainsi que des biens immeubles situés à Marles, y compris le château et qu’elle n’a pu obtenir, ni ses enfants, du gouvernement, aucune liquidation, ni remise”. Ce mémoire déclare, plus loin, que ses enfants mineurs ont été réintégrés dans leurs biens par arrêté du département du Pas-de-Calais, en date du 24 Vendémiaire An V (5 Octobre 1796). (1)

(1) Compte de tutelle établi le 3 Juin 1807.

Grâce à tous les papiers, répertoriés par MM. Rodière et La Charie, on a pu vous montrer les répercussions de la révolution sur la famille de Marles, exemple symbolique des effets de la grande tourmente contre ce que l’histoire appelle “l’Ancien Régime”. On va essayer maintenant de conter les faits historiques locaux, qui montreront comment s’installa le régime nouveau à Marles.

Lorsque la République fut proclamée, la population marlésienne se partagea en deux clans bien distincts: les partisans de la terreur et ceux qui, quoi qu’ayant opté au début du grand mouvement révolutionnaire pour la transformation du régime, n’approuvaient pas les mesures de répressions du gouvernement de Robespierre. Bien entendu, ils avaient garde d’affirmer leur façon de voir: cela eut été téméraire de leur part et leur eut coûté la vie. Mais cette opposition existait et quand la Convention décréta ses mesures antireligieuses, elle ne craignit pas de prêter main forte aux prêtres réfractaires de la région. Et à propos de l’effervescence qui régna dans nos régions à cause de la Constitution civile du clergé, il faut ici raconter les péripéties de l’existence mouvementée que mena, à cette époque, le curé de Marles-Calonne.

A l’aube de la Révolution, Marles était, au point de vue religieux, un secours ou annexe de l’Eglise de Calonne. Les cures de ces deux paroisses appartenaient à l’abbaye de Chocques, qui nommait toujours à leur tête un de ses religieux aidé dans ses fonctions par un vicaire, demeurant à Marles et spécialement chargé de ce village. Les titulaires de ces postes se trouvaient être, en ces temps: l’abbé Joachim Laurent curé, et l’abbé Gobert, vicaire desservant Marles.

Le premier ne voulut pas prêter le serment constitutionnel, le second, au contraire, jura avec diligence, afin de se procurer un avancement subit. Il fut en effet nommé curé d’Auchel, que venait de quitter Huleux, non-jureur, parti pour l’exil.

Il faut dire que les mesures de répressions, prises contre les prêtres non-jureurs (on les appelait ainsi à cette époque), blessèrent, au plus profond, les sentiments religieux d’un grand nombre de paysans de nos régions encore très attachés au culte catholique. Ils ne voulurent pas accepter de curé-juré (prêtre qui avait prêté le serment constitutionnel) malgré les injonctions du district, et les menaces de Lebon. Il en fut ainsi à Calonne et à son annexe de Marles dont les cures restèrent sans titulaire, puis rattachées à celle d’Auchel qui avait un curé-juré en l’abbé Gobert. Ce dernier, malgré son bon vouloir, ne put, à cause de la malveillance de la plupart des familles du pays, exercer son ministère en toute plénitude. Ses paroissiens n’acceptaient pas ses services. Pourquoi? Parce qu’un prêtre non assermenté les entretenait, en secret, dans leur foi ancienne.

L’abbé Deramecourt dans son livre intitulé “Le Clergé d’Arras, Boulogne et Saint-Omer pendant la Révolution(1) raconte (il s’entend en catholique) les avatars de la vie de proscrit de l’ex-curé de Calonne Marles: l’abbé Joachim Laurent.

(1) 4 volumes in-80 1884-1886.

Les terribles mesures frappant les prêtres non assermentés n’intimidèrent pas l’abbé Laurent; il ne voulut pas quitter ses paroisses et pendant toute cette époque troublée il demeura à Calonne et continua, au péril de sa vie et malgré toutes les embûches tendues sur sa route à exercer son ministère à travers toute la région.

Il avait été nommé curé de Calonne Marles le 25 Décembre 1790. Les mesures ultra-révolutionnaires le trouvèrent à son poste qu’il refusa de quitter. Mais il dut se cacher pour mettre sa personne à l’abri d’une arrestation. Les églises de Marles et Calonne furent fermées. Malgré les lois sévères qui frappaient les suspects, il trouva bon nombre de partisans qui l’aidèrent dans son apostolat secret: parcourant la campagne, disant la messe dans les granges, portant de maison en maison les secours de la religion. Il se chargea par surcroît des paroisses voisines: Divion, Camblain, Auchel, Cauchy-à-la-Tour, Allouagne, Choques, Lapugnoy et Lozinghem, abandonnées par leurs prêtres qui avaient pris le chemin de l’exil et dont une partie des populations refusaient les offices des curés jurés.

Il effectuait ses randonnées sous des déguisements les plus divers et recrutait des protecteurs nouveaux dans tous les villages. Reçu partout, il faut le dire avec empressement, ses partisans fidèles étaient les familles Sergeant, Bailly et Debuire à Calonne-Ricouart, Turlure, Delmotte et Dautriche à Marles.

Dans toutes ses randonnées il était accompagné par son ex-chantre, le fidèle: Célestin Danel; serviteur dévoué et de toute prudence qui lui fut, en maintes occasions, d’un très grand secours.

Cette activité quoique secrète, n’était pas ignorée des autorités tenues au courant des faits par les Procureurs des Communes (1). Un comité révolutionnaire chargé de la surveillance et de l’activité des prêtres avait été constitué à Lillers. Lebon, commissaire du gouvernement pour l’Artois et farouche conventionnel, chargea ses membres de visiter toutes les communes de la région pour y constater si on travaillait le dimanche, si les curés avaient juré, et s’ils disaient la messe.

(1) Administrateur communal chargé de l’exécution des lois.

Célestin Danel et l’abbé Joachim Laurent furent dénoncés; le premier fut arrêté mais le second put se soustraire aux recherches.

L’ex-chantre traduit devant les Tribunaux fut relâché devant le manque de preuve et devant les nombreux témoignages de son honnêté et de la droiture de sa vie. Tous les périls accumulé sur leurs têtes ne les empêchèrent pas moins à exercer leur périlleux sacerdoce. (2)

(2) Voici une anecdote rapportée par l’abbé Deramcourt au sujet de l’abbé Laurent et de son chantre:

Un jour ils ne durent leur vie qu’à un hasard extraordinaire. Des patriotes de Chocques voulurent s’assurer de leurs personnes. L’un d’eux feignit d’être malade et se coucha pendant que les autres ayant eu connaissance de la cachette de l’abbé le firent appeler auprès du soi-disant moribond. Des gendarmes déguisés avaient été préposés dans la pièce pour arrêter le prêtre et son auxiliaire. L’abbé Laurent s’y rendit seul et au moment même où il approcha du lit, le faux malade mourut subitement. ---“Vous êtes venus me chercher trop tard, dit-il, il est mort….” On juge de la stupéfaction des assistants qui laissèrent repartir le curé libre et sans rien lui dévoiler.

PHOTO III -- Ange Guislain Joseph Alexandre de Beaulaincourt, Comte de Marles 1744-1794. Guillotiné à Arras le 16 Germinal An II.

Entre temps, on adjoignit à l’abbé Gobert, le curé-juré, un vicaire spécialement chargé de l’annexe de Marles: L’abbé Leprêtre… Il n’y fit qu’un court passage.

Il ne faut pas croire malgré les attaches aux anciennes formes du culte catholique que l’on avait tort de trop brimer, s’attaquant de part là à la liberté de conscience (un des buts de la Révolution Française) que la population de Marles et de nos régions était réfractaire aux idées révolutionnaires … Au contraire, l’on applaudissait à toutes les réformes heureuses du début de la révolution, à l’esprit de liberté et de justice dont elles étaient inspirées, détruisant tout ce que le régime féodal avait d’odieux et de blessant pour le peuple. L’enthousiasme qu’avait montré nos villages au changement de régime, commença à disparaître sous la Terreur avec toutes les mesures cruelles du Comité de Salut Public. Dès que Louis XVI fut guillotiné, une opposition se manifesta dans nos campagnes et elle prit la forme d’une petite résistance, dont on a beaucoup exagéré la portée et les conséquences, et que l’histoire provinciale a enregistrée sous le nom de “Petite Vendée”. Elle éclata au village d’Aumerval, le jour de la ducasse de cette commune (le 25 Août 1793). Là étaient réunis sous la conduite des frères Truyart de Pernes tous les mécontents de la région. Le Bon vint en personne à la tête d’une forte troupe réprimer cette petite révolte qui se termina par 19 exécutions capitales dont celle d’un auchellois: Pierre Ferdinand Caron, âgé de 21 ans, fermier, guillotiné à Saint-Pôl le 28 Août 1793. (1)

(1) G. Sagnier: la terreur dans le district de Saint-Pôl, deux volumes (1938).

Les mesures anti-religieuses se firent de plus en plus sévères pour en arriver à la suppression du culte catholique et à l’institution du culte de la raison. On interdit même aux curés jurés de dire la messe et ils furent invités à abandonner leur état et à prendre un métier.

Le comité de surveillance de Lillers redoubla d’activité, et Le Bon en fut très content et lui envoya un satisfecit. Le curé de Burbure devint cocher mais celui d’Auchel-Marles: l’Abbé Gobert, quoique curé conventionnel, ne veut pas abandonner sa charge et le fameux comité Lillerois le signale comme disant la messe chez lui et faisant “les autres grimaces sacerdotales” assisté de son ci-devant clerc: Augustin Danel: “qui porte l’eau bénite dans sa poche”. Deux membres du comité, les citoyens Imbonne et Gervais l’arrêtèrent et le conduisirent à Béthune (1)

(1) Abbé Deramecourt

C’est à cette époque que Marles est classé comme douteux (1794).

Le paroxysme révolutionnaire du groupe des patriotes de Marles atteint son summum un jour, où, en réaction aux menées catholiques, ils se transportèrent à l’église et là, à coups de marteau, firent sauter les écussons et les insignes de l’ancien régime, s’imaginant, comme tous les destructeurs, qu’il suffit de détruire les choses pour faire disparaître l’esprit qu’elles évoquent. La pierre tombale de Georges de Beaulaincourt, ancêtre des comtes de Marles, datant de 1699, et qui existe encore de nos jours, encastrée dans le mur gauche du choeur, fut bien endommagée, toutes les inscriptions et tous les écus rappelant les 16 quartiers du défunt furent martelés. Il est même étonnant qu’elle ne soit pas disparue complètement. Cette fois l’église fut fermée jusqu’à la réorganisation du culte. Elle fut vendue à Henri François Despré, cultivateur, agent public de la commune. L’acte de vente était ainsi libellé: “Aujourd’hui, dis sept Germinal, An VII, moy Joseph Denissel, épicier. Demeurant en la commune d’Arras, ville du Pas-de-Calais, certifie avoir reçu du citoyen Henri François Joseph Despré, cultivateur à Marles, canton d’Houdain, la somme de cent cinquante livres pour la moitié du prix convenu avec ledit Despré de l’abandon… et déclare lui avoir cédé à son profit la cy devant église de Marles. En quoi j’ai signé: Joseph Denissel. Reçu l’autre moitié à Arras, le 14 fructidor An Vii. Denissel”. (1)

(1) Ce document se trouvait dans la famille Grard, aujourd’hui presque disparue de Marles.

Il semble que cet édifice religieux fut transformé en salpétrière et quand il fut vendu à Henri François Despré, ce dernier en fit une grange où il entassait foin et fourrage.

Les ornements furent dispersés. Le lutrin se trouvait dans la famille Mallet où il servait de banc de ménage et l’on raconte que le confessionnal fut converti en garde-robe. La cloche fut fondue comme toutes ses consoeurs, pour être transformée en gros sous et en canons.

Le presbytère qui se trouvait face à l’église, à l’emplacement actuel de la ferme Dégrugillier, fut acheté le 28 Ventôse An V par le même Henri François Despré. Il se composait d’une maison avec dépendances, cour et jardin. Inhabité il tomba en ruine et le terrain fut revendu à la famille Denissel.

Mais comme à toute chose qui a atteint son apogée, la chute fut brutale et réactionnaire. Le 10 Thermidor 1794 Robespierre fut guillotiné et avec lui s’écroula la terreur; puis après quelques vicissitudes le calme revint petit à petit dans nos villages, qui retrouvèrent leur paix d’antan, enrichie de souvenirs extraordinaires que leur avait fournis l’époque la plus mouvementée de notre histoire.

La cause principale des troubles et des petits incidents de nos campagnes, on l’a vu, résidait surtout, comme l’a écrit Mr. M. Sagnier dans son remarquable livre sur la Révolution dans le district de Saint-Pôl, dans le mécontentement grandissant contre un régime qui heurtait les sentiments religieux. L’imposition de curés jurés dont les habitants ne veulent pas, la suppression du culte catholique, entretiennent une fermentation permanente des esprits, opposant adversaires et partisans de la Terreur.

Malgré toutes les graves et importantes questions intérieures et extérieures que la Convention eut à résoudre il ne faut pas méconnaître son oeuvre de transformation administrative, intellectuelle et sociale de la France. On peut lui reprocher ses aberrations idéologiques mais on ne peut oublier son travail immense dans tous les domaines sociaux.

Au point de vue administratif, Marles, dès 1789, comme tous les autres villages est érigé en commune avec un Conseil Général élu par les citoyens. Il se composa au début d’officiers municipaux et de notables parmi lesquels un Procureur chargé de l’exécution des lois. A Marles, le procureur fut François Joseph Richebé et les agents publics, officiers municipaux furent successivement: De l’An I de la République à l’An III: Jean Baptiste Malet; An III à An VI: Joseph Sergent, An VI à An VII: Henri François Joseph Despré; An VIII à An X: Jean Baptiste Malet; An XII Pierre Jean Marie Despret. (1)

(1) Archives communales

La constitution de l’An III, supprima cette organisation; elle créa les municipalités de canton qui se composèrent, pour les communes d’au moins 5.000 habitants, de leur municipalité propre et pour celles au-dessous de 5.000 d’une réunion de communes élisant chacune un agent municipal et un adjoint qui se réunissaient au chef-lieu de canton. Un commissaire du pouvoir exécutif leur fut adjoint pour l’exécution des lois. (2)

(2) Histoire du Pas-de-Calais au XIX° siècle.

La France est divisée en départements, districts (arrondissements) et cantons; Marles fait partie du canton d’Houdain district de Béthune. En 1799, An VIII de la République, Bonaparte 1er Consul, réorganise les communes; Marles élit son premier Conseil Municipal, parmi lequel est nommé par le préfet son premier maire qui fut Malet Jean Baptiste ayant Despret Pierre Jean Marie comme adjoint.

Marles comptait à cette époque 405 habitants. (3)

(3) Almanach du Pas-de-Calais, An XI.

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