CHAPITRE SIX -- MARLES AU XIX° SIÈCLEMARLES AU XIX° SIÈCLELa grande tourmente intérieure passée, nos villages, secoués avec rapidité, au plus profond dans leurs us et coutumes ancestraux, révolutionnés dans leurs habitudes, goûtèrent avec la joie que lon devine, le calme que leur apporta létablissement du Consulat et quelques temps après celui du 1er Empire. Marles, bien quadaptée rapidement, comme toutes les communes, au nouveau système administratif et politique, a toujours la même physionomie de village dantan. Sa vie se cantonne autour de léglise qui, à cette époque, est le centre, le coeur du pays. Nichées au creux de la vallée, humblement installées sur le dernier contrefort qui descend aux bords de la Clarence, bien serrées pour sabriter des vents du Nord et lOuest, contre lesquels les protégeaient de grands tilleuls qui dici de là bordaient les rues et ruelles, ses fermes et ses maisonnettes en torchis, (1) formaient un ensemble ressemblant à un quadrilatère, presque régulier, quaujourdhui encore il est facile de délimiter: ayant pour côté la rue de lEpinette, la rue de lEnfer, (rue de la République) une portion de la rue Pasteur, appelée en ces temps: rue Duquesnoy et la rue de lEgalité, dénommée autrefois la rue du Mont Colleau. Ce quadrilatère coupé presquen son milieu par la rue Neuve, aujourdhui rue Pierre Titrent.
Le lecteur, pour se faire une idée de ce vieux Marles à laube du XIX° siècle, doit simaginer les chaumières rassemblées autour de lEglise (surtout du côté Nord-Ouest) qui les couvrait de son ombre, comme une poule couvre ses poussins; des cités Ste Barbe et de celles du côté dAuchel et Calonne il nétait pas question; seules les blondes moissons et les verts pâturages soffraient au regard en ces lieux. Si un étranger venait à Marles en emprunt ant le chemin dAuchel, -- au beau temps, car lhiver il était impraticable et se transformait en véritable bourbier -- la distance entre ces deux villages lui paraissait grande. A cette époque lancêtre du boulevard Gambetta nétait quun chemin de labour étroit, en bien des endroits encaissé entre deux talus, bordé de buissons daubépines et darbustes sauvages et dici de là de quelques frênes ou tilleuls. Cet étranger arrivait à la hauteur des écoles Gambetta daujourdhui, où se trouvait une petit chapelle entourées darbres face au mamelon sur lequel ont été bâtis lHôtel de Ville et le Square, là où se trouve le cimetière et que lon désignait en ces temps sous le nom de Mont Coleau . Un sentier que se trouvait à la limite du jardin public, presquà lendroit de la clôture en ciment armé daujourdhui, le conduisait à la portion de la rue Pasteur appelée rue Duquesnoy et de là, en descendant la rue du Mont Coleau (rue de lEgalité) il arrivait face à léglise, en plein centre du Bourg. La descente du boulevard Gambetta nexistait pas, elle sera établie beaucoup plus tard, tout le monde sen souvient en 1925. La rue du Vis-à-Marles, dénommée de nos jours rue Pasteur, était un chemin de terre bordé: là dun pré, ici de champs. Quelques rares fermes se perdaient sur son parcours et, comme tous ses semblables, sec et poussiéreux lété, il devenait un bourbier aux ornières profondes et fangeuses lhiver, comme dailleurs les ruelles du village où nos aïeux, surtout nos grand-mères, pour pouvoir circuler, garnissaient leurs chaussures de patins qui leur permettaient de traverser les rues boueuses. Dans le bas du bourg, sur la droite de léglise, se trouvait le vieux moulin en pierres de craie, dont lorigine remontait au XVIII° siècle et dont nous avons fait mention au chapitre IV. Nous lavons tous connu, sa disparition totale ne date en effet que de 1937, avec sa légendaire roue à palettes frappant les eaux claires de la Clarence qui coulait paresseusement à travers les prés, aux pommiers fleuris, aux vieux saules (allaux) dont les troncs rabougris, recroquevillés et difformes, baignaient leurs tortueuses racines dans leau clapotant à leurs pieds. En amont, cette rivière côtoyait le verger du château: encore un vieux témoin de Marles, aujourdhui malheureusement disparu. On y accédait en prenant une petite avenue qui partait de la rue du Marais, face à léglise et dont le tracé existe encore de nos jours et à qui lon a conservé son nom de rue du Château. Cette avenue bordée darbres séculaires conduisait au parc au milieu duquel se trouvait la vieille gentilhommière des comtes de Marles, de la famille de Beaulaincourt. Elle ne se composait plus au milieu du XIX° siècle, après avoir été rebâtie avec les restes de lancien château, que dun corps central de logis en pierres de craie dun seul étage flanqué à chaque angle de la façade principale, dune tourelle en briques dun effet plus décoratif quutile, (voir hors-texte IV). Vers la Clarence, le parc se transformait en verger et de lautre côté de la demeure seigneuriale se trouvait un étang bordé de joncs sur lequel, nonchalamment, les nénuphars étalaient leurs larges feuilles. Derrière cette antique propriété et rattachés à elle sétendaient de vastes prés et des terres à labour. Linstallation des mines a fait disparaître tout cela. Les affaissements miniers eurent tôt fait davoir raison des vieilles pierres. Le petit château, branlant de toutes parts, fut détruit en 1925. Le parc, le verger, et létang, petit à petit, disparurent à leur tour et aujourdhui il nen reste plus que le souvenir. Certes, à la belle saison, quand les arbres couverts de verdures, les folles moissons se courbant au gré des vents, les gras pâturages remplis de gros bétail, le moulin à roue chantante, répondant au gazouillis des oiseaux du parc, doù perçaient les toits coniques en poivrière des élégantes tourelles quapercevaient, des coteaux voisins, les cultivateurs affairés à la terre: le vieux Marles ne manquait pas de poésie terrienne que notre époque moderne, à lindustrie dévorante, a fait disparaître. La population qui était en 1804, à la proclamation du 1er Empire de 442 habitants, occupait le huitième rang, comme importance dans le canton dHoudain et venait après Houdain, 962; Hersin, 913; Labuissière, 606; Bouvigny-Boyeffles, 585; Noeux, 580; Camblain-Cahâtelain, 523; Bruay, 470; suivi par Rebreuve, 432; Divion, 419; et bien loin ensuite par Calonne Ricouart, 228. (1)
Depuis le début de la Révolution, lon dénote un accroissement sensible de la population, léger sans doute, mais continuel. Ce fait est à remarquer car le nombre dhabitants ira sans cesse croissant jusquà nos jours où il semble stabilisé et même en régression. A cette époque, où il nexistait pas ou peu dindustrie, seule la terre était la grande nourricière et de ce fait la population, essentiellement rurale, se composait de cultivateurs -- le nouveau terme qui depuis la Révolution avait remplacé celui de laboureur et des quelques artisans nécessaires à la vie dun bourg agricole: maréchal ferrant, menuisier, etc qui eux-mêmes se livraient plus ou moins à la culture. En consultant les registres de lEtat Civil de cette période on peut se faire une idée de la vie corporative de Marles au début du XIX° siècle. La majorité des hommes sont cultivateurs, parmi eux il existe une sorte de hiérarchie établie par la fortune. Il y a des propriétaires importants, dune culture à 2 chevaux, auxquels la vente des biens nationaux appartenant au ci-devant Beaulaincourt, a permis darrondir leur domaine; on y distingue quelques noms qui reviennent souvent: le Morel, les Vincent, etc les propriétaires moyens, dune culture à un cheval, ils sont le plus grand nombre; et les tous petits propriétaires se débrouillent bon an mal an. Dans les fermes importantes, travaillaient les ménagers, les journaliers et les bergers. Autour de tout ce monde agricole gravitait un petit peuple dartisans indispensables à la vie rurale: le maréchal-ferrant, le charpentier, quelques maçons, et chose curieuse, pour nos jours: des tisserands car à cette époque, on cultivait beaucoup le lin quil fallait tisser pour le tisser en belles toile blanche, nécessaire à la vie familiale et dont le surplus allait se vendre aux marchés dHoudain, Pernes, Lillers, Béthune et même La Bassée. Enfin, dans cette énumération, il ne faut pas omettre les meuniers car il existait un moulin à moudre bleds à Vis-à-Marles et un autre à tordre huile à Marles où on écrasait les graines doeillette et de colza également très cultivées en ces temps. Toute lactivité économique du village est consacrée à la terre. Lagriculture à force de labeurs, y était florissante, mais le peu de valeur des produits de la ferme rendait la vie pénible. Les cultures principales étaient celles du blé, du lin, des graines de colza, le pavot noir appelé dans nos régions oeillette, le seigle, lescourgeon, lorge, les fèves, les navets, les carottes et les pommes de terre. Les terres à labour y étaient bien entretenues et surtout bien fumées. Certaines années lorsquelles étaient fatiguées, on y pratiquait le lit avant qui consiste à puiser profondément une terre nouvelle qui remplaçait celle que la culture avait épuisée. Les marlettes terres marneuses des coteaux de Lozinghem et dune partie du versant de Bruay étaient cultivées à la sole. On les ensemençait deux années de suite et on les laissait en jachère la troisième année et parfois la quatrième. Pas un seul pouce de terrain cultivable nétait laissé à labandon. La superficie de Marles, qui se décomposait à cette époque de la façon suivante:
se divisait en cantons, ou lieux-dits, dont les noms, véritable essence de terroir, évoquent aujourdhui, pour nous, le bon vieux temps de nos grand-parents. Ils tirent leur origine soit: dun site, dune remarque particulière au terrain ou à lendroit où il est situé, dun monument ou dune construction qui sy trouve érigée, ou alors, rappellent le souvenir dun acte dhistoire locale qui sy est déroulé. Pour Marles, les plus typiques et les plus suggestifs sont: LE BOIS DES COLIVEAUX (petit bois qui sétendait à 146;endroit où se trouve aujourdhui la ligne de chemin de fer du Nord; aux limites de Calonne-Ricouart); LE CHAMP A LARGENT (à la limite avec Divion) daprès les vieux, ce nom proviendrait de la couleur de la terre qui à cet endroit est très argileuse et dun jaune de louis dor; LE CHAMP MADAME (à lendroit du terril N°2); LE BOIS DES DOUZE (en descendant vers la vallée de la Clarence près du chemin de Pernes) en souvenir dun petit bosquet où il ne restait plus que 12 arbres, on en voit encore la trace de nos jours; LES COURBES (en allant vers Vis-à-Marles) de nos jours traversées par le chemin rural N°5 qui est un raccourci pour se rendre sur le haut de Vis-à-Marles; LA VALLÉE HERNESSE (vers Bruay); LE CHAMP GIBET (à la limite vers Labuissière) on se demande ce quévoque ce sinistre nom? Sans doute quelques pendaisons dont le souvenir est perdu; ROUGEVILLE (au centre de la rue Pasteur un peu plus bas que le commissariat) nom marquant qui a désigné lune destrois seigneuries de Marles dont lhistorique se trouve relaté au chapitre II. La forme gallo-romaine de ce nom semble évoquer comme ceux de Hurionville, dHermanville, etc une villa romaine qui sy est trouvée il y a déjà bien longtemps; LA TERRE MARCOTTE (vers Lozinghem); LE BOIS DE MARLES (trait dunion entre les bois du Mont-Eventé de Lapugnoy et les bosquets de Lozinghem) autrefois assez vaste et complètement disparu de nos jours; LES CARRIERES (sur le coteau de Lozinghem) évoquant les anciennes carrières souterraines qui ont servi à lextraction de la pierre de craie, nécessaire à la construction des églises et des soubassements de maisons; LES RIETZ, terrains crétacés de lère secondaire, composés de craie couverte dune mince couche dargile et désignés dans le pays sous le nom de marlettes (doù dérive Marles), formant le mamelon qui lentement sabaisse vers la vallée carreau; LA VALLÉE CARREAU qui sétend dAuchel à la rue de Lozinghem tout le long du coteau des Carrières et du Rietz: vallée qua emprunté le chemin de fer des Mines de Marles; LE MONT COLEAU sur lequel sont construits, notre moderne Hôtel de Ville, le square et où se trouve le cimetière et quelques terres de culture; LE GAY (à lintersection du chemin Vert et du Boulevard Gambetta) est-ce là une déformation du mot guet, lendroit était vraiment très propice pour faire le guet; LE FOND A CARD vallonnement situé derrière la maison Descamps, sur le boulevard Gambetta; LE MONT DAUCHEL comprenant tous les terrains qui séparent Marles dAuchel; LE RIVET A FRAISES ce nom pittoresque désignait le coteau qui sélève face au terril du N°5 en souvenir des fraises sauvages qui y poussaient; LA VALLÉE SOUFLIN au bas du rivet à fraises, à la limite ouest avec Auchel. Lon trouve encore de nos jours, ces noms rustiques désignés à la matrice cadastrale, mais lors de la confection du plan, en 1812, on a omis de les désigner et surtout de marquer leur emplacement, il était donc nécessaire et utile de les définir et de les situer afin que leur souvenir ne se perde pas. Le premières années passées sous lEmpire, avaient apporté la quiétude dans nos villages artésiens et leur avaient permis de reprendre toute leur activité. Une seule ombre existait au tableau: la conscription militaire. Napoléon avait besoin de beaucoup de soldats pour écrire son épopée et bien des bras, jeunes et vigoureux, étaient enlevés à la terre pour les armées impériales qui chevauchaient à travers lEurope. Notons, en passant, que ce fut loccasion pour deux fils du pays de sy distinguer et de sy couvrir de véritable gloire militaire en ces temps épiques où lon combattait pour son Empereur. Le premier est originaire de Calonne-Ricouart: BAILLY Ferdinand qui, après sêtre battu vaillamment, avec un héroïsme peu ordinaire, sur tous les champs de bataille de lEurope, termina sa carrière avec le grade de ce capitaine; le second est un enfant de Marles, le capitaine Marie, François, Eugène, Joseph CARDON, né à Marles, le 14 Juillet 1759, fils du bailli du Wetz-à-Marles. On trouvera à la fin de ce volume la biographie de ce valeureux soldat de la Révolution et de lEmpire. (1).
Au temps des succès, la guerre avait pour théâtre lEurope entière, mais au temps des revers les armées étrangères envahirent la France et en 1815, après la bataille de Waterloo, les troupes anglo-prussiennes occupèrent lArtois. Les Anglais sinstallèrent dans nos villages; des détachements des leurs occupèrent Marles, Auchel, Calonne, Cauchy, etc (1) Chaque fermier fut obligé den loger plusieurs et de leur assurer un cantonnement complet. Daprès les souvenirs, laissés par les vieux, ils se conduisirent assez gentiment et même surent sattirer les faveurs de certaines gentes et accordes demoiselles. Et plus dun de nous serait surpris, sil entreprenait des recherches généalogiques, de retrouver un John Bull dans ses grands papas.
Le calme revint avec la Restauration et dès la fin de loccupation, qui dura de trois à quatre années dans nos régions; nos paysans marlésiens reprirent leur vie calme et monotone desclaves de la glèbe, toujours courbés vers la grande nourricière qui leur donnait bien la vie, mais ne leur permettait pas de mener grand train, surtout si lon voulait, de temps à autres, ajouter un lopin de plus à lhéritage paternel. Les qualités, maîtresses déconomie, régnaient à la ferme qui ne se composait pas, comme aujourdhui, de vastes bâtiments en brique, mais dun modeste enclos formé par la maison dhabitation, les granges et les étables, le tout disposé, en général, en quadrilatère: les bâtiments clôturant la cour, au milieu de laquelle se trouvait la classique fosse à fumier où sébattaient coqs, poules et canards. (1)
La ferme marlésienne, semblable à toutes les fermes dArtois, était de construction bien simple. Lensemble reposait sur une charpente rustique dont les encadrements étaient remplis de torchis que lon blanchissait à la chaux chaque année, la veille de la Fête Dieu. Ce torchis lorsquil était bien sec, devenait très friable et les parois servaient de lieu de prédilection à des tas dinsectes et de bestioles aux premiers rangs desquels rats et souris tenaient leur place. Le toit était couvert de chaume; par suite de nombreux incendies et le progrès aidant, la tuile fit son apparition. La terre battue servait de parquet; dans les maisons aisées il y avait un carrelage de briques. Comme plafond, des grosses poutrelles, mal équarries soutenaient des planches disjointes. Les murs étaient percés de petites fenêtres discrètes coupées de petits carreaux. La porte pleine divisée horizontalement en deux panneaux dont le supérieur toujours ouvert et linférieur toujours fermé formait la demi-porte propice aux causettes vespérales où comme la chanté le poète: les vieux en bonnet, le menton sur les mains respirent le soir calme aux portes des chaumières. Lon remarquait, au-dessus de cette porte, une petite niche où un saint, ou sainte, rustique, taillé à même le bois, apparaissait en protecteur du foyer. En pénétrant à lintérieur, lon se trouvait de plain-pied dans la grande pièce commune, à la fois cuisine et salle à manger. Bien quà nous, gens modernes, il puisse sembler trè ;s réduit, le mobilier, dans les ménages aisés, se composait: dune petite table ronde, quelques chaises, des bancs, un ou deux escabeaux, une grande armoire flamande en cerisier,, très basse, à trois portes, dont les sculptures tailladées au couteau étaient rehaussées dappliques en cuivre. Au mur était suspendu un grand râtelier à vaisselle sur lequel salignaient quelques assiettes peintes de Strasbourg ou parfois, par hasard de Rouen, ou de Delf, et où étaient accrochés une série de pots, dits anglais ou de porcelaine et faïence diverses. Lun des murs était occupé par la monumentale cheminée sur la tablette de laquelle recommençait lalignement dassiettes auxquelles sajoutaient quelques plats en étain, des jattes polychromes, des statuettes rutilantes sous globe; sur sa vaste hotte évasée, un crucifix, garni dune vieille branche de buis jauni par le temps, était appliqué; dans lâtre même, à la crémaillère était suspendue la lourde marmite de fonte ou la bouilloire pour le thé de groseilles noires ou de sauge. A cette époque entre les chenets ne flambait que le bois ou la tourbe, plus tard viendront les grands poêles en fonte ou en tôle dans lesquels on brûlera la houille. Aux côtés de lâtre étaient accrochés des tas dustensiles hétéroclites dont lusage aujourdhui est perdu mais qui, en ces temps, était de première nécessité; le chandelier à poêlon (avec sa pierre à feu), lécumoire, les mouchettes, la boîte à allumettes à bois, la pelle à crêpes, le goûte beurre, le fer à tuyauter, léteignoir, les pinces à feu, le gaufrier, la poêle à frire, le grill en fer forgé, le tuyau à souffler sur les braises. Le mobilier était complété par lantique fauteuil à fuseaux qui se trouvait au coin de la cheminée et ordinairement occupé par la vénérable aïeule: dans un des coins de la pièce, la légendaire horloge à grande gaine, dont le rythme régulier remplissait la maison du battement doux et monotone de son grand balancier en cuivre poli et bien astiqué; en face se trouvait la huche appelée en nos villages la maie où lon pétrissait le pain et qui servait aussi entre temps, de seconde armoire. Ça et là, divers ustensiles, que la vie moderne a remplacé ou même supprimés: la planche à aiguiser, la planche à gaufrer les bonnets, le planissoir, la presse à calandrer. Dune poutrelle du plafond descendait un créchet, lampe des plus primitives, doù une petite mèche trempant dans lhuile éclairait de son faible lumignon les longues soirées dhiver. Très souvent, le mur face à la cheminée était percé dune petite porte basse qui conduisait à la chambre où se trouvait la massive garde-robe où lon rangeait les vêtements de la famille et où sempilaient les belles pièces de toile de fin lin. Contre les murs salignaient les grands lits en bois de sapin dont les alcôves étaient fermées par de grands rideaux à ramages. La maisonnette du ménager ou ouvrier de ferme était plus modeste, elle se composait dune ou deux petites pièces très rarement de trois, dont lune était utilisée pour loger parfois une vache, très souvent un porc, de la volaille et toujours des lapins. Là, le mobilier était extrêmement réduit au strict nécessaire. Chez les plus pauvres, le lit, par terre, reposait sur de la paille ou des feuilles mortes. De la Révolution au second Empire, lon remarque que le menu journalier du paysan dArtois comme des autres provinces françaises, était empreint de la plus grande sobriété. Bien des mets daujourdhui étaient complètement inconnus à cette époque; les aliments se composaient des produits directs de la terre ou de lélevage familial. Il faut reconnaître que les repas frugaux donnaient force et santé à nos aïeux qui ignoraient beaucoup des maladies actuelles et, malgré les lourds travaux des champs formaient une race forte où les cas de longévité nétaient pas remarqués comme de nos jours car ils étaient chose naturelle. Le pain et le lait était la bas de lalimentation; au repas de midi: la soupe aux choux à laquelle on ajoutait une pièce de lard les jours gras, très souvent le soir, du petit lait cuit avec des pommes et de la farine, le traditionnel guinze. Lété il y a en plus le goûter, entre quatre et cinq heures de laprès-midi: larchinoire(1) . Le pain nétait pas toujours de première qualité, mais très consistant: lantique pain de ménage; en temps de disette de farine on y ajoutait des pommes de terre écrasées qui, tout en le rendant très nourrissant, lui donnait une douceur de goût bien particulière.
Il faut arriver vers 1860 pour apercevoir quelques changements et quelques améliorations dans le menu journalier. La viande de porc devient journalière. La dimanche et les jours de fête on voit apparaître la viande de boeuf. La bière devient la boisson ordinaire et remplace la tisane de chicorée et même leau. Le café complètement ignoré en 1789 et qui a commencé à se propager en 1848 où lon nen prenait quaux jours de fête (baptême, première communion, ducasse) devient dun usage courant. La vieille souche celtique, très mélangée au cours des invasions du IV°, a donné à nos régions une race bien caractéristique et sans contredit nordique. Le type général du paysan nous présente un gaillard à forte encolure, dur à la besogne, esclave comme son père, de la glèbe à qui il fait rendre ce quelle doit donner et, quand il a atteint à lâge, ses cheveux grisonnants, sa figure barrée dune forte et large moustache blonde lui donnent la tête antique de ses aïeux celtes. La fermière en général une forte femme blonde, au geste énergique, bien plantée qui faite son homme tant à la maison quau champ et porte la culotte dans le ménage; laborieuse, cest la fourmi du foyer. La question vestimentaire na jamais beaucoup embarrassé lhomme dArtois; la vêture est plus simple que dans certaines autres provinces françaises où lhabillement rustique, surtout celui des femmes, est si riche dornementations. Les vêtements journaliers étaient composés de toile grossière grise ou bleue. Les jours de grand froid, pour parer aux rigueurs du temps, les hommes endossaient sarrau sur sarrau. Ils se couvraient dun bonnet de coton bleu à gland, le dimanche, ou aux cérémonies, ils se coiffaient dune sorte de bonnet casquette en de drap noir ou en velours et dont les revers sornaient de broderies de soir noire qui lui donnaient un cachet bien spécial; très rarement, de nos jours, en pleine campagne dArtois, lon trouve encore quelques vieux portant cette coiffure. Ils se chaussaient de sabots, rarement de souliers. Pour les grandes occasions, il y avait parfois, un vêtement de drap qui servait à plusieurs générations, et que le chansonnier régional a familiarisé sous le nom de: lhabit du vieux grand-père. Dès 1848, on porte la blouse puis lhabit de velours et les souliers. Le linge des femmes était simple; le drap dont il était confectionné était certes plus rude que celui dont on fait usage de nos jours et les formes très archaïques. La robe était vaste et la cottelle aux nombreux plis et aux grandes poches intérieures donnait du corps à celles qui en manquaient. Pour accomplir la besogne journalière on la recouvrait dun tablier: un acorcheu bien lié à la taille. Les vieilles se coiffaient dun petit bonnet de toile blanche bien empesé; il y en avait de simples pour la semaine et de jolis, bien tuyautés, ornés de fine dentelle, encadrant harmonieusement les vénérables figures daïeules, pour le dimanche. Par les pages qui précèdent, le lecteur a pu déjà se rendre compte de quelques aspects de la vie rurale en Artois au XIX° siècle. La vie intime est celle de tous les paysans de France dans ses grands traits, ici comme dans les autres provinces, cest le roman de la Terre. Linstinct ancestral qui préside à la vie de la ferme de génération en génération est de la faire fructifier afin que son maître puisse économiser et surtout acquérir de la terre: cette vieille soif du paysan, et particulièrement de celui du Nord. Avancer la haie de son champ ou de sa pâture pour gagner un pouce de terrain, soit sur le chemin rural, quil rétrécit chaque année par ses empiétements, soit au détriment du champ du voisin et alors prend naissance la source dun procès de bornage qui dresse deux familles lune contre lautre. Et parfois lâpreté de cet instinct de possession fut lorigine de bien des drames connus. Les manifestations extérieures de la vie rurale au XIX° siècle sont peu nombreuses. La besogne occupait pendant toutes les heures du jour, la population; il ny avait que le dimanche pour mettre trêve aux labeurs. Le matin du jour dominical grands et petits assistaient aux offices religieux. La grand-messe était la seule distraction du village, non pas que la foi fut très vive, lhabitude héritée de génération en génération en avait consacré lusage; cétait le lieu où la grande famille marlésienne se trouvait réunie une fois par semaine et, à la sortie, quand ce nétait pas durant loffice, on sinformait des travaux de cultures, de la vente des produits et bien souvent on y concluait de petits marchés. Laprès-midi, pour terminer la journée, les hommes se rassemblaient dans les quelques cabarets du village où lon passait la soirée en jouant aux cartes tout en buvant de larges rasades de bière et parfois leau de vie. Une fois par an, le dernier dimanche de septembre, arrivait la fête communale: la ducasse. Gardez-vous de penser à nos modernes fêtes foraines avec leur baraques et leur mille jeux de lumière. En ces temps, elle se manifestait par la confection des bonnes tartes au lait bouilli, ou aux pommes et, le soir, par un bal qui, sil faisait beau temps, avait lieu dans un pré ou un violoneux, grimpé sur un tonneau, faisait tournoyer les danseurs ou, si le temps était mauvais, dans une grange que lon arrosait de temps à autres pour ne pas faire de poussière. La jeunesse, surtout les filles en quête de mariage, se rendait parfois à Camblain-Châtelain où avait lieu ce quon appelait la Foire aux filles. Toutes les filles du pays, voulant passer lanneau nuptial, se réunissaient, au beau temps, sur le coteau que se trouve à la droite de lentrée du bois de ce village et sy asseyaient en ronds parmi lesquels circulaient les jeunes gens faisant leur choix au milieu des quolibets et des rires. Lhiver, la vie au foyer devenait plus intense, les courts jours ne permettaient pas de grands travaux et le soir, trop tôt venu, obligeait la famille à se retrouver, plus tôt que de coutume, sous le toit familial; après le souper, souvent en compagnie de quelques parents ou voisins, on se réunissait en rond autour de la cheminée; laïeule, assise dans son grand fauteuil, présidait et ressassait pour la énième fois tous les contes et légendes du folklore artésien, si riche, si pittoresque et si varié. Toute lassemblée, avec attention, écoutait la vieille maman égrenant ses souvenirs, pendant que les femmes tricotaient, que les hommes tiraient dénormes colonnes de fumée de leur bouffarde et que les enfants, très sages, ouvraient de grands yeux reflétant une vive émotion. La scène, éclairée faiblement par la petite flamme du créchet ou tout simplement par les reflets de la grosse bûche pétillante qui flambait dans lâtre, vacillant au gré des lutins familiers et dessinant sur les murs les ombres grimaçantes de chacun, était toute de circonstance et créait latmosphère nécessaire aux étranges actions et faits dont grand-mère parlait. Elle leur contait lhistoire: dech tien blanc (le chien blanc) qui grimpait sur le dos des voyageurs attardés et les harassait de fatigue; des loups-garous, esprits malfaisants qui empruntaient la forme dun loup et jouaient mille vilains tours aux pauvres mortels et se faisaient entendre pendant le carême, surtout durant lAvent, dans les voisinage des bois. Cétait, disait la bonne vieille, les âmes des excommuniés, qui, sous ce déguisement, venaient pousser des hurlements lugubres. On les avait encore entendus lannée dernière, affirmait-elle. (1) Aux enfants, elle parlait de Marie Grauette, une mauvaise fée qui logeait dans les grottes de vase et de roseaux aux seins des eaux et qui attire à elle les petits enfants qui se promènent le long des berges des rivières ou des étangs. On la voyait souvent le long de la Clarence ou dans les viviers de la ferme de Quennehem. (2)
Le récit sarrêtait quelque temps, pendant lequel un calme impressionnant régnait, ne laissant percer que les bruits mystérieux du dehors, dans lesquels elle reconnaissait le sabot du Cheval Blanc et accusait les enfants, qui manquaient de sagesse, de sa venue, car cet ani mal fantastique en voulait particulièrement aux polissons. Chqvau blanc était un lutin pernicieux qui prenait la forme d ;un animal tout blanc, velu et à quatre pattes. Il portait un collier garni de sonnettes et attirait à lui, par ses maléfices et sa funeste influence, les personnes qui se trouvaient sur son chemin. Un besoin irrésistible leur prenait denfourcher la bête qui sallongeait démesurément au fur et à mesure que le nombre de personnes dont elle se chargeait, augmentait. Quand elle jugeait en avoir assez, elle courait avec une rapidité folle vers la rivière dans laquelle elle précipitait toute sa charge. Le soir Ech Goblin se retirait dans les carrières, ou dans les excavations qui existaient le long des routes. On lavait vu, plusieurs fois, errer le long de la Vallée Carreau, aux carrières A la fin du récit, tous se taisaient remplis deffroi, certains simaginant entendre les grelots de la dangereuse cavale. Pour le rassurer, le maître du logis leur affirmait que cétait Cadet qui remuait à lécurie. (1) La conversation reprenait, on citait des anecdotes se rapportant aux exploits de: Marie Grauette , du Cheval Blanc, des loups-garous et certains affirmaient avoir été les témoins ou même les héros de telles et telles aventures. Et la vieille, inépuisable, leur parlait du Neckre, le plus vieux des fantômes artésiens, transmis par les Morins. Ce dernier prenait différentes formes se métamorphosant tantôt en cheval, tantôt en mouton ou en bélier; il empruntait la figure, parfois dun singe, parfois dune chienne; ici cétait un molosse, là un ours, il se montrait sous laspect dun homme ou sous celui dune femme prenant la physionomie quil lui plaisait afin de mystifier les gens.
Puis elle leur parlait: dèche lerminette ou dech cat (chat blanc) qui se montrait chaque fois que lon faisait des crêpes (ratons en patois local) et ce pour les manger au fur et à mesure quon les cuisait. Dèche fureulle, esprit follet et que le voyageur attardé trouvait sur son chemin et qui se faisait un plaisir de donner de fausses indications aux gens quils rencontrait afin de les égarer? Et les feux follets, lâme des morts impurs , condamnée à roder dans les cimetières et les sorcières et les mauvaises personnes qui jettent des sorts et occasionnent mille désagréments à leurs semblables. Dans le silence impressionnant, lantique horloge martelait dix coups. On sétonnait dêtre resté si longtemps. Les voisins apeurés nosaient regagner leur chaumière et le patron du logis leur donnait un brin de conduite, pendant que les enfants, avec hâte, senfilaient dans leur lit les draps sur la tête. Nous avons voulu dans ces pages faire revivre quelques jours lointains, dont certains, parmi les plus âgés de nous ont souvenance. Cette vie sociale du XIX° siècle devait être marquée afin de faire connaitre lévolution des temps et il faut noter aussi que cest durant cette période que pour Marles, commença une évolution matérielle qui saccentuant petit à petit allait construire le Marles que nous connaissons. Le premier embryon de transformation date de 1842: ce fut la construction dune maison-école. Lenseignement y était donné par un clerc laïque qui cumulait avec ses fonctions de pédagogue, celles de chantre à léglise et de sonneur de cloches. Les élèves répartis en deux classes payaient une redevances pour les diverses matières enseignées. Les indigents étaient admis gratuitement. Puis il faudra attendre linstallation des Mines pour voir de nouvelles modifications. La vie politique, depuis la Révolution, était réduite à sa plus simple expression. Dans le fond de nos provinces, lécho des grands événements nationaux arrivait toujours avec un grand retard. En 1826, le roi Charles X avait accompli un voyage officiel dans sa province dArtois dont il avait porté le nom comme prince. Tous nos paysans, endimanchés, se portèrent sur la route Nationale de Béthune à Lillers où le cortège passa. Les maires assurèrent Sa Majesté de la fidélité des populations à la monarchie. Un grand événements national qui eut un retentissement assez considérable dans nos campagnes fut la Révolution de 1848, qui sema à travers le pays, des tas despérances nouvelles. Des orateurs parcouraient la région faisant miroiter aux yeux des esclaves de la terre, les beautés du régime à venir. A limitation des grands jours de 1793, on planta, à nouveau, les Arbres de la Liberté. A Marles, on ne fut pas en reste sur les communes voisines, plusieurs furent plantés: lun derrière le cimetière qui entourait à cette époque, le côté nord de léglise, un autre, un tilleul qui existait encore avant la guerre, face à la ferme Dégrugillier. Lors de leur plantation qui eut lieu sous la présidence de Monsieur Adrien Hautefeuille, maire, des discours furent prononcés, sur la place de léglise, par Messieurs Denissel et Alexandre Carlier. Ces discours, empreints du nouveau libéralisme à la mode, furent plusieurs fois interrompus par le comte Frédéric de Beaulaincourt et Monsieur Yvain, curé de la paroisse. La cérémonie fut clôturée par des manoeuvres de la Garde Nationale, fondée sur lordre du gouvernement de Louis-Philippe. Chaque commune possédait sa section qui élisait son état-major. On relève en 1840, la nomination de Louis Mallet comme capitaine, Louis Cheval, comme lieutenant, Bruno Sartel, comme sous-lieutenant. Le 25 Novembre 1843, ils furent remplacés par Louis Lemaire comme capitaine, Hautefeuille Valéry comme officier et Sartel Bruno comme sous-officier. Il nous faudra attendre les années 1851 et 1852 pour quun nouvel événement fasse participer Marles à la vie nationale. A ces dates, Louis Napoléon Bonaparte accomplit ses coups détat et devient Empereur sous le nom de Napoléon III. Il se fait plébisciter par la France entière. Les Marlésiens, comme les autres, par deux fois, accordèrent leur confiance au neveu du grand Empereur. Cest au début de son règne que les prospecteurs fouillant le sol de lArtois, découvrir la houille. Découverte capitale qui allait transformer une paisible région agricole en un centre industriel des plus importants. On trouvera au chapitre suivant les péripéties de cette installation dans notre village qui allait devenir: Marles-les-Mines. |