CHAPITRE SEPT -- LES MINESLES MINESParmi tous les faits qui intéressent Marles à travers les temps, lévénement historique le plus considérable, celui qui aura le plus de répercussions sur la vie de son village, fut la découverte en 1852 de la continuation, dans son sous-sol, du gisement houiller du Pas-de-Calais, alors en pleine prospection. Depuis près de trois siècles, la question de la houille était débattue dans les pays situés le long du plissement primaire hercynien. En Allemagne et en Belgique, les affleurements de ce combustible à la surface du sol, en avaient précipité lexploitation de très ancienne date. En approchant la frontière française, les couches houillères disparaissent sous des formations dâge beaucoup plus récent, auxquelles on a donné le nom de Morts Terrains. Lexistence de la houille en Allemagne, en Belgique et en Angleterre avait fait songer, à quelques Français, de rechercher sil nexistait pas, dans notre pays, un trait dunion entre ces deux bassins. Quand une partie du Hainaut devint française, après les paix de Nimègue (1678) et Riswick (1697), on se demanda pourquoi la houille exploitée dans le Hainaut belge, ne se trouverait pas aussi dans le Hainaut français. Des recherches furent entreprises et découvrirent le houiller à Fresne en 1720 puis à Anzin en 1734. Lon pensa ensuite que le houiller devait sétendre au delà du Hainaut, en Flandre et même en Artois. Cette opinion était confirmée par lexistence de la houille, exploitée dès 1692, à Hardinghem près de Boulogne. Dès lors lidée que le gisement devait exister de Valenciennes à Boulogne, pour souder le bassin anglais au bassin continental, était née et aussitôt des recherches commencèrent. Dès 1740 des essais furent entrepris, mais les premiers travaux eurent lieu, en 1747, à Pernes-en-Artois par la Société de Villers qui les abandonna devant leur insuccès vers 1763. Si le hasard avait voulu que les recherches fussent tentées à 6 kms plus au nord-est, la concession de Marles, eut été la plus vieille du bassin. Dans le nord, les découvertes, plus heureuses, suivaient leur train. Le houiller était reconnu en 1778 à Aniche, mais les événements politiques de la Révolution et de lEmpire, avec leurs guerres, ralentirent lélan donné et ce ne fut que sous la Restauration que la prospection reprit. A partir de 1847, fut reconnu le prolongement du bassin à lOuest, cest à dire vers lArtois. Lon avait songé tout dabord, que le houiller se prolongeait au delà de Douai, vers le Sud, et cest: les uns disent, au hasard, les autres, à des recherches scientifiques, que la bonne direction fut trouvée. En 1841, un forage exécuté à Oignies, dans le parc du château de Madame de Clercq, afin de procurer de leau jaillissante pour les besoins des parterres, avait rencontré la houille; scientifiquement, en 1846, Monsieur Soyez, administrateur des Mines de Vicoignes, avait reconnu le houiller à lEscarpelle et avait déterminé la direction vers lOuest-Nord du nouveau bassin. Ces deux faits marquèrent le point de départ des recherches, vers cette direction et les découvertes se succédèrent à un rythme accéléré. En 1849, le charbon est trouvé à Courrières, en 1850 à Lens, Noeux et Bruay, en 1852 à Marles, Auchel, Ferfay et Auchy au Bois. Deux ingénieurs civils des Mines, MM. Bouchet et Lacretelle, exécutèrent en 1852, à louest de la concession de Bruay, deux sondages positifs: lun à Marles et lautre à la limite dAuchel et de Burbure (près de la fosse de Rimbert); à la suite de ces travaux, ils constituèrent en leur faveur des droits à lobtention dune concession. Ne possédant les capitaux nécessaires pour lexploitation de leur découverte, ils passèrent le 15 Novembre 1852, avec le riche propriétaire du charbonnage du Grand Hornu (Belgique), Monsieur Emile Raimbeaux, un contrat par lequel ce dernier fournissait, en gardant un intérêt de 5%, tous les fonds nécessaires à lexploitation de la nouvelle concession et consentait au partage des bénéfices qui en résulteraient dans les proportions suivantes:
Monsieur Raimbeaux fut autorisé à faire la demande de concession en son nom et devint le seul maître absolu de la direction et de lemploi des capitaux. MM. Bouchet et Lacretelle eurent le droit de vérification des comptes.
A la suite de ce traité, il fut formé, le 19 Novembre 1852, deux sociétés distinctes, lune pour Monsieur Raimbeaux sous la dénomination de Cie des Mines de Houille de Lillers, lautre pour les deux prospecteurs: MM. Bouchet et Lecretelle sous le nom de société civile des propriétaires de 30% de bénéfices des Mines de Lillers qui, dès la mise en route de la Société dexploitation, prirent le nom de Mines de Marles.
Le bilan de cette catastrophe se solda par la perte de 300.000 francs quavaient nécessités les travaux de creusement de ce premier puits. Devant cet insuccès M. Emile Raimbeaux ne voulut pas savouer vaincu mais il fut profondément découragé; néanmoins convaincu que lécroulement de cette fosse était plutôt dû aux dispositions adoptées quà la nature des terrains, il décida en 1854 louverture dun second puits. Sous la direction de M. Glépin, Ingénieur des charbonnage du Grand Hornu, le fonçage du N° 2 des Mines de Marles commença au milieu de lannée 1854. Grâce aux grandes précautions apportées à lexécution des travaux, surtout pour le passage du niveau, quon surmonta au prix de mille difficultés, le 15 Octobre 1856 fut terminé la base du cuvelage dans le terrain houiller, à 83 mètres de profondeur. Ce puits avait coûté 405.466 francs 08. (1)
Dès 1858, la fosse de Marles, ou puits Saint-Emile entrait en exploitation. Grâce à lexpérience acquise dans lexploitation minière par la direction et le personnel des charbonnages du Grand Hornu, qui furent comme les parrains de ceux de Marles où de nombreux ouvriers mineurs belges furent appelés, elle fournit cette année là, 31.730 tonnes, augmentant sans cesse sa production pour arriver en 1865 à 62.487 tonnes. Entre temps, survint le décès de M. Emile Raimbeaux, fondateur de la société, et à la persévérance duquel on doit louverture des Mines de Marles. Il fut remplacé à la tête de la direction de la Compagnie en 1861 par son fils M. Firmin Raimbeaux. La situation des Mines de Marles paraissait excellente: lexploitation se faisait dans de très bonnes conditions, le gisement était un des plus beaux du Pas-de-Calais, et même de la France, une seule ombre au tableau: les travaux fournissaient abondamment deau. Cette abondance ne pouvant être combattue avec les moyens dont on disposait à lépoque, allait être la cause de lécroulement de la fosse N° 2 des Mines de Marles; catastrophe unique dans les annales minières du Pas-de-Calais. Voici la narration technique de cet accident daprès M. Glépin, lingénieur des Mines du Grand Hornu, qui avait présidé à létablissement de ce puits: (1)
La perte du puits de Marles où lon neut heureusement à déplorer la mort de personne fut un véritable désastre pour les sociétés des 70 et 30% de Marles. Dès son arrivée à la direction de la compagnie, Monsieur Firmin Raimbeaux avait eu soin de réclamer le creusement dune nouvelle fosse à Auchel et le fonçage des travaux préparatoires du siège 3 venaient dêtre terminés, quand se produisit la perte du siège 2. Tout le personnel fut reporté au nouveau puits où lexploitation commença immédiatement, ce qui permit à la société de survivre à cet anéantissement. Ce nétait pas seulement le puits qui était perdu, mais lune des plus belles parties de la concession car afin de protéger les nouveaux travaux ainsi que ceux de Bruay, il fallut laisser des espontes (1) considérables pour isoler le lac souterrain des travaux sus mentionnés; on abandonnait ainsi 840 hectares sur les 2.990 que comprenait la concession, soit plus du quart, situés dans la partie la plus productive.
A plusieurs reprises, on propose de relever et de rétablir complètement le puits éboulé: M. Glépin en 1867, puis les intéressés de la société dexploitation en 1875. Cette question fut soumise à une commission dingénieurs dont les conclusions furent les suivantes: 1. La reprise parait impraticable par aucun des procédés actuellement connus. Elle présentera des difficultés immenses, exigera des dépenses énormes sans assurance de réussite. La fosse même reconstruite noffrirait aucune sécurité et il y aurait toujours à craindre dy voir la même catastrophe sy renouveler. 2. Les travaux du puits actuels sont arrêtés à 500 mètres du lac souterrain de la fosse N° 2 de manière à laisser une esponte de cette épaisseur. Du côté de la concession de Bruay, cette esponte est de 1000 mètres. Il ny a donc aucun danger à redouter pour les travaux de Marles et de Bruay. On peut donc attendre longtemps avant de reprendre le puits. Et en effet, on attendit très longtemps, exactement 40 ans. Linstallation de puits de mines à Marles avait été pour cette commune, une cause daugmentation et dextension très sensible de sa population. Dès 1861, la Compagnie des Mines de Marles avait entrepris la construction de la cité Sainte-Barbe, au Nord du village, sur le côteau de Lozinghem afin dy loger son personnel ouvrier. A la même époque, elle ouvrit une école de filles, qui existe encore de nos jours, rue Pasteur; la Direction et lenseignement y étaient assurés par des religieuses de lordre de Saint-Vincent de Paul. Petit à petit, lentement, quelques coins du village, surtout aux alentours du siège 2, trouvaient une physionomie nouvelle. Ladministration des Mines de Marles avait décidé de sy installer et avait fait construire à cette effet, ses bureaux et bâtiments administratifs. Bon nombre douvriers, que lappât dun gain plus élevé attirait, abandonnèrent lagriculture, qui les nourrissaient à grand-peine, pour venir travailler aux mines. Un contingent douvriers mineurs belges du Grand Hornu avait suivi MM. Raimbeaux à Marles, si bien que la population qui se chiffrait à 437 âmes en 1856, passa à 1066 en 1862, soit une augmentation de 140% en six ans. Cette proportion nous montre de façon éloquente, lessor que linstallation de lindustrie houillère, donna à ce village. Malheureusement cet essor fut freiné, considérablement, par la catastrophe de 1866, que nous avons relatée plus haut, et si bien que ladministration demeura à Marles, la Compagnie minière porta toute son activité à la partie occidentale de sa concession et surtout sur Auchel où furent creusés successivement, en 1863 le puits 3 ou Saint-Firmin en lhonneur de M. Firmin Raimbeaux, en 1867 le 4 ou Saint-Emile en lhonneur de M. Emile Raimbeaux, en 1873, le 5 et le 5 bis ou puits Saint-Augustin et en 1875 le 3 bis ou Saint-Abel en lhonneur de Monsieur Abel Raimbeaux. (1)
Les transformations différentes que Marles devait subir suite à linstallation des Mines devaient être plus lentes, bien que la famille Raimbeaux conserva pour ce petit village, qui avait été le point de départ de la société et à laquelle il avait donné son nom, des attentions particulières. Sa situation dans la vallée de la Clarence le fit choisir, en 1860, comme tête de ligne de réseau de chemins de fer que la Compagnie était obligée de créer pour la mise en exploitation du gisement, et, à la suite dun accord avec la Société des Chemins de Fer du Nord, dès que le siège 3 dAuchel fut raccordé à la ligne des houillères du Pas-de-Calais, un dépôt central de locomotives et toute ladministration du réseau sans cesse grandissant, ainsi quun lavoir général y furent installés en 1896. Tout cet ensemble industriel fut bientôt complété, en 1900 à lemplacement de la maison dite Brave Homme, dune gare de triage. La Compagnie des Mines de Marles ayant reconnu et exploitant dune façon heureuse et entièrement la partie occidentale de son gisement, Monsieur Firmin Raimbeaux, à qui revenait le mérite de la bonne marche de la société, décida de reprendre en 1906, en pleine période de prospérité, le passionnant problème du fonçage du N° 2. Malgré les souvenirs malheureux attachés à ce puits, comptant sur les progrès énormes de la technique minière qui avait progressé dune façon prodigieuse, le fonçage du nouveau 2 fut entrepris en suivant laxe de lancien puits et fut terminé en 1908. Il fut bien émouvant, pour les premiers mineurs qui pénétrèrent dans les anciennes galeries, dont certaines sétaient maintenues en parfait état de conservation, dy trouver les vestiges de la première exploitation. Les travaux effectués dans la partie orientale de la concession, par les sièges 5 dAuchel et 6 de Calonne Ricouart (foncé en 1902) avaient démontré la nécessité dun grand siège dextraction à cet endroit. Après la reprise du puits 2 à Marles, la création, dans cette commune, dun nouveau siège fut décidée. Le 2 Octobre 1910, le fonçage du puits 2 bis fut entrepris pour être terminé en 1911. Trois ans plus tard, la guerre se déclarait. Bien quà la limite du front dArtois, les mines de Marles échappèrent à la destruction et, grâce à lappoint de nombreux mineurs mobilisés, pour les Mines, lexploitation se fit, pour les besoins de la Défense Nationale, sur un rythme accéléré. Le 16 Novembre 1917, fur ouvert le 2 ter, et cest de cette date que le siège de Marles prit toute son importance; benjamin de la concession, il allait profiter de lexpérience de ses aînés. Situé dans le plus beau gisement de la concession du Pas-de-Calais et même de la France, installé modernement, il allait en 1921, avec un personnel renforcé de nombreux mineurs polonais, prendre la tête de la Société au point de vue production. Il nest pas dans notre rôle de passer dans le domaine technique pour vous décrire les installations de ce siège, quil nous suffise de dire que rien na été négligé pour quelles soient à la hauteur de lexploitation: machines dextraction, chaufferie, triage, installations électriques, lampisterie, salles de bains et douches, réseau de chemin de fer, bureaux, enfin tout ce qui constitue une mine moderne sy trouve. Un regard sur un bilan des Mines de Marles suffit pour montrer éloquemment le rôle et limportance du Siège 2. Le chiffre de sa production qui de 736.306 tonnes en 1928 passe à 763.539 en 1929, et 815.901 en 1930. La reprise de lactivité minière, à Marles même, allait donner de nouveau à cette cité un élan vers un développement sans cesse croissant. Nous trouverons relaté au chapitre X la création de Marles Industriel Moderne. |